Cour d'Appel de Rennes du 14/11/1996 n° 770 SA COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX c/ Monsieur X... et autres

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Considérant, au fond, que c'est par des motifs pertinents qu'il convient d'adopter que la juridiction de première instance, après avoir retenu, sans que se décision ne soit critiquée de ce chef, que l'obligation qui pesait sur la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX (CGE) était une obligation de résultat, a décidé que cette société avait manqué à cette obligation en l'espèce dans la mesure où :
- une eau pour être potable suppose qu'elle soit propre à la consommation humaine et donc sans danger pour la santé de ceux qui la consomment et qu'elle réponde aux normes légales ou réglementaires définies,
- le décret du 3 janvier 1989 et son annexe 1-1 pris en particulier pour la transposition, en France, de la directive 80/778/CEE du Conseil des Communautés européennes du 15 juillet 1980 relative à la qualité des eaux destinées à la consommation humaine, fixe notamment à 50 mg par litre la limite supérieure des valeurs de concentrations en nitrates et à 0,1 microgramme par litre la limite supérieure des valeurs de concentrations en pesticides et produits apparentés, dont les herbicides, par substances individualisées,
- si ce décret, qui a seule valeur réglementaire à l'exclusion de se circulaire d'application, prévoit que des dérogations sont possibles, force est cependant de constater d'une part qu'elles ne le sont que dans des circonstances exceptionnelles et d'autre part, qu'elles sont soumises à une procédure spécifique qui n'a pas été mise en oeuvre en l'espèce, l'eau obtenue après dérogation étant de surcroît déconseillée à une partie de la population,
- les taux de nitrates relevés ont dépassé le seuil maximum fixé par ce décret en tous points conformes à la directive du 15 juillet 1980, pendant 128 jours de janvier 1990 à fin 1993 pour 5 des intimés et 269 jours pour les autres,
- peu importe que la preuve du dépassement du taux des pesticides et produits apparentés ne soit pas quant à elle rapportée, aucune analyse concernant de leau prélevée chez le consommateur n'étant produite aux débats ;

Considérant que la société CGE ne saurait s'exonérer de la responsabilité contractuelle qui pèse ainsi sur elle dans la mesure où le phénomène de la pollution des eaux n'était :
- ni imprévisible, les analyses pratiquées depuis plusieurs années démontrant une progression constante du taux des nitrates, ce qui était rendu prévisible par l'évolution, notamment, de la nature de l'activité agricole,
- ni irrésistible, des solutions, qui ont d'ailleurs donné des résultats depuis 1993, existant tant au niveau des équipements que la CGE n'allègue même pas avoir demandés à l'époque du sinistre, qu'au niveau des sources de pollution et des mesures de prévention et dans la mesure où elle n'établit donc pas que ce sont les contraintes extérieures qui l'ont empêchée de prendre les mesures qui auraient permis de limiter, sinon de maîtriser, rapidement la pollution de l'eau par les nitrates ;

Considérant que les intimés ont indéniablement subi un préjudice du fait que l'eau qui leur était fournie ne pouvait être bue sans risque pour leur santé, ce qui les a contraints, dans un souci légitime de protection, à acheter de l'eau en bouteille, plus onéreuse que celle du robinet, qu'ils auraient dû pouvoir consommer en toute sécurité ; que ce chef de préjudice ne saurait être limité à la consommation des jours de pollution, les intéressés ne pouvant manifestement pas se rendre tous les jours à la mairie de Trégueux pour vérifier le respect, au quotidien, des normes imposées ; qu'il sera donc fait droit à leur demande de ce chef, sur la base de 1,50 F la bouteille d'eau, prix moyen d'un litre d'eau de source, et de deux bouteille d'eau par jour ;

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