Cour de Cassation chambre criminelle du 25/10/1995 n° 94-82.459 Monsieur Bernard X...  

(...)

LA COUR,

Joignant les pourvois en raison de la connexité ;

I. - Sur le pourvoi de l'association des marins pêcheurs de la prud'homie de Palavas-les-Flots :

Attendu qu'aucun moyen n'est produit ;

II. - Sur le pourvoi de Monsieur Bernard X... :

Vu le mémoire produit ;

Sur le premier moyen de cassation pris de la violation des articles L 231-3, L 232-2 du Code rural, 6-13° du décret-loi du 9 janvier 1852 modifié, 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut de motifs, manque de base légale :

<<en ce que l'arrêt attaqué a déclaré le prévenu coupable du délit de pollution de cours d'eau et du délit de pollution de la mer ;

<<aux motifs qu'il ressort des pièces versées aux débats que c'est lors de travaux notamment de changement de dômes poreux, réalisés sur la station d'épuration de la Cereirede qui traite les eaux usées du district, que le phénomène de pollution décrit dans le procès-verbal de Monsieur Y... et Éric Z... a été constaté ; qu'en effet, pour la réalisation de ces travaux de rénovation prévue pour une durée de 5 semaines à compter du 25 février 1990, une partie des eaux usées ont été déversées dans le Lez en n'ayant subi qu'un traitement sommaire (décantation primaire) ; que cette pollution a duré une semaine environ ; qu'en application de l'article 15 du contrat d'affermage conclu avec la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX en qualité de fermier, il était prévu que "tous les ouvrages, équipements et matériels, permettant la marche de l'exploitation... seront entretenus en bon état de fonctionnement et réparés par les soins du fermier à ses frais" ; que les travaux ont été réalisés sous la responsabilité du fermier et que la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX a choisi le moment de ces travaux ; que si cette tranche de travaux avait été réalisée à une période où le débit du Lez est sensiblement plus important, la dilution des effluents traités même de façon primaire n'aurait pas entraîné de phénomène de pollution comparable à celui constaté le 10 avril 1990 ; que les autres tranches de travaux effectuées à des périodes opportunes n'ont pas occasionné de nuisances ; qu'en outre, il aurait été possible de limiter le phénomène de pollution notamment en protégeant les étangs ; que le prévenu fait état de deux lettres, l'une en date du 15 février 1990 émanant du directeur des services techniques du district de Montpellier, maître de l'ouvrage adressée au directeur départemental de l'Équipement pour l'informer du début des travaux à compter du 19 février 1990, l'autre en date du 10 mars 1990 émanant conjointement de la direction départementale de l'Agriculture, adressée au président du district de l'agglomération de Montpellier à la suite d'une réunion de travail le 27 février 1990 à la Cereirede, pour être informé de la date du lancement des travaux un mois à l'avance pour prévenir les communes situées à l'aval, et les principaux organismes concernés, fédération de pêcheurs, conseil supérieur de la pêche, afin d'examiner les mesures conservatoires pouvant être mises en oeuvre : augmentation du débit réservé à la source du Lez, pêches électriques de sauvetage, et de mettre en place une station de surveillance rendant compte quotidiennement des mesures aux administrations concernées DDE, DDAF, DDASS pendant toute la durée des travaux ; que l'ensemble de ces mesures suivant cette dernière lettre devait faire l'objet d'un protocole d'accord entre le district, la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX et les administrations concernées par la police des eaux, la police de la pêche et l'hygiène du milieu ; qu'il ne résulte pas du dossier que ce protocole préalable à l'exécution des travaux ait été établi, pour que la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX et donc son directeur régional, Monsieur Bernard X... puisse invoquer une quelconque force majeure, c'est à dire imprévisible et irrésistible ; qu'il découle de ce qui précède à l'encontre de Monsieur Bernard X..., directeur régional de la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX, professionnel technicien compétent de haut niveau, la preuve d'une imprudence, d'une négligence caractérisée par la volonté d'engager et poursuivre des travaux dont il n'ignorait pas le caractère polluant et les dommages irréversibles qui en résulteraient, faute d'avoir pris, en accord avec les autorités administratives compétentes et les collectivités locales concernées avant et pendant les travaux, les mesures conservatoires pour assurer la protection et la sauvegarde de la faune aquatique fluviale et marine, ainsi que de son environnement déjà pollué mais auquel cette faune avait pu s'adapter ; qu'il résulte des pièces de la procédure, que la pollution du Lez a eu un impact écologique sur la faune marine, du fait qu'il existe un échange entre les eaux du Lez et les étangs riverains qui jouent un rôle de nourricerie d'alevins et le Lez de porte d'entrée dans les système lagunaire palavassien ; que cette pollution indirecte visée à la prévention par l'article 6-13° du décret-loi du 9 janvier 1852 a touché principalement les alevins de loups et de daurades en période de migration de la mer vers les étangs comme l'a relevé la DDA dans son rapport du 22 mai 1990 adressé au secrétaire d'État chargé de l'environnement de la prévention des risques technologiques et naturels majeurs ;

<<alors que, d'une part, l'entrée en vigueur du nouveau Code pénal le 1er mars 1994 marque la disparition des délits matériels ; que toute infraction suppose désormais une intention coupable ; que, par suite, il appartenait à l'accusation d'établir une mise en danger délibérée des eaux du Lez par le prévenu par la poursuite des travaux ; qu'en condamnant Monsieur Bernard X..., ès qualité de directeur régional de la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX, au titre du délit de pollution bien que cette entreprise n'ait pas eu la possibilité de modifier les caractéristiques de la station d'épuration qu'elle exploitait en qualité de fermier et dont les capacités techniques étaient nettement insuffisantes, la cour d'appel a renversé la charge de la preuve et méconnu le principe de la présomption d'innocence ;

<<alors, d'autre part, et en tout état de cause que la force majeure exonère le prévenu de toute responsabilité ; que Monsieur Bernard X... faisait valoir dans un chef péremptoire de ses conclusions d'appel délaissées que les limites techniques de la station d'épuration comme la faiblesse du débit de la rivière le Lez empêchaient la dilution des matières épurées, constituant des événements imprévisibles et irrésistibles de nature à exonérer Monsieur Bernard X... de sa responsabilité pénale ; qu'en effet, la brusque diminution du débit du Lez, en 1990, au cours de l'exécution des travaux durant le premier trimestre était totalement imprévisible en sorte que la force majeure était caractérisée ;

<<alors, de troisième part, que Monsieur Bernard X... soulignait aussi dans un chef péremptoire de ses conclusions d'appel auquel la cour d'appel a omis de répondre que la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX avait strictement et scrupuleusement respecté son contrat d'affermage, ayant à gérer une station d'épuration en sous capacité tant quantitative que qualitative et dont il avait été prévenu dès la remise des installations au fermier d'améliorer le rendement et les performances ; que les travaux de rénovation entrepris conformément au traité d'affermage ont été menés sous la maîtrise d'ouvrage du district de Montpellier, propriétaire des ouvrages, qui prenait en charge le financement des travaux et devait réaliser les travaux nécessaires pour empêcher la pollution ;

<<alors, enfin, que la cour d'appel a expressément constaté que la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX est intervenue dans le cadre des travaux comme exploitant et a remis à cet effet une note au district de Montpellier, maître d'ouvrage et a prévenu les administrations concernées ; qu'ainsi, il ne saurait être reproché à la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX et à Monsieur Bernard X... d'avoir manqué à aucune obligation d'information vis à vis des administrations ; que pour en avoir autrement décidé, la cour d'appel n'a pas tiré de ses propres constations les conséquences légales qui en découlaient nécessairement et n'a pas légalement justifié sa décision de condamnation>> ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et du jugement qu'il confirme que courant mars 1990, pendant la durée des travaux de rénovation de la station d'épuration du district de Montpellier, établissement géré par la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX, une partie des eaux usées ont été déversées dans le Lez, cours d'eau de deuxième catégorie, après n'avoir subi qu'ne décantation primaire ; que les analyses effectuées à partir des prélèvements opérés par des garde-pêche du conseil supérieur de la pêche ont révélé une pollution <<extrêmement néfaste pour le milieu et les populations pisciaires>>, par suite, notamment, d'une <<désoxygénation catastrophique du milieu>> ; que les effets de cette pollution se sont fais sentir sur les eaux rattachées à la pêche maritime et sur celles des étangs riverains ;

Qu'à la suite de ces faits, Monsieur Bernard X..., directeur régional de la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX et gestionnaire de la station d'épuration incriminée, est poursuivi pour infraction aux articles L 232-2 du Code rural et 6-13° du décret-loi, modifié, du 9 janvier 1852 ;

Attendu que, pour déclarer le prévenu coupable de ces infractions -après avoir écarté ses conclusions sollicitant sa relaxe aux motifs que les limites techniques de la station d'épuration dont il a la charge et la réduction importante du débit de la rivière ont constitué un cas de force majeure de nature à l'exonérer de toute responsabilité pénale- les juges relèvent que les travaux de rénovation de la station d'épuration ont été réalisés, conformément à l'article 15 du contrat d'affermage, sous la responsabilité de la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX, chargée d'entretenir en bon état de fonctionnement et de réparer à ses frais <<tous les ouvrages, équipements et matériels permettant la marche de l'exploitation>> ; qu'ils observent que <<c'est la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX qui, dans le traitement des eaux, a choisi le moment des travaux>> alors que les autres tranches de ces travaux, effectuées à des périodes plus opportunes, n'ont pas occasionné de nuisances ; que les juges concluent <<de l'ensemble de ces considérations de fait et des constations des agents verbalisateurs>> qu'il y a lieu de retenir à la charge de Monsieur Bernard X..., directeur régional de la COMPAGNIE GÉNÉRALE DES EAUX, professionnel technicien compétent de haut niveau, la preuve d'une imprudence, d'une négligence caractérisée par la volonté d'engager et de poursuivre des travaux dont il n'ignorait pas le caractère polluant et les dommages irréversibles qui en résulteraient faute d'avoir pris, en accord avec les autorités administratives compétentes et les collectivités locales concernées avant et pendant les travaux, les mesures conservatoires pour assurer la protection et la sauvegarde de la faune aquatique fluviale et marine, ainsi que de son environnement déjà pollué mais auquel cette faune avait pu s'adapter ;

Attendu qu'en l'état de ces motifs, dépourvus d'insuffisance ou de contradiction et qui caractérisent la faute de négligence ou d'imprudence exigée par l'article 339 de la loi du 16 décembre 1992 pour la répression des délits non intentionnels prévus, comme en l'espèce, par des textes antérieurs au 1er mars 1994 -date d'entrée en vigueur de ladite loi- la cour d'appel, qui a, par ailleurs, écarté l'existence de la force majeure, a, sans inverser la charge de la preuve et méconnaître la présomption d'innocence, justifié sa décision ;

Que, dès lors, le moyen ne saurait être accueilli ;

Sur le deuxième moyen de cassation pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut de réponse à conclusions, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

<<en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à payer à l'association des marins pêcheurs de la prud'homie de Palavas-les-Flots la somme de 100 000 francs à titre de dommages-intérêts ;

<<aux motifs adoptés des premiers juges que la prud'homie de Palavas n'a pas fourni d'éléments précis ; qu'aucun constat d'huissier n'a été versé aux débats pour permettre au tribunal d'apprécier l'étendue du préjudice dans les étangs concernés ; que de plus, une autre pollution est intervenue peu après celle qui fait l'objet de la présente procédure ; qu'aucun élément de preuve de la baisse de revenus des pêcheurs concernés n'a été versé aux débats ; que de plus l'estimation de 1 139 500 francs a été faite pour une année "sous réserve des conséquences néfastes des années ultérieures", sans que des documents nouveaux aient été fournis s'agissant précisément de ces conséquences ultérieures ; qu'il y a lieu d'apprécier à 100 000 francs, la réparation forfaitaire du préjudice subi ;

<<alors que, d'une part, l'action civile d'une association n'est recevable qu'autant que celle-ci a été personnellement et directement lésée par l'infraction imputée au prévenu ; qu'en l'espèce, il résulte des propres constations du jugement confirmé par la Cour qu'aucun prélèvement n'a été effectué dans les étangs et qu'aucun élément de preuve de la baisse de revenus des pêcheurs concernés n'a été versé aux débats, qu'ainsi, en l'absence de tout dommage personnel et direct causé par l'infraction, l'action civile de l'association était irrecevable ;

<<alors que, d'autre part, si les juges du fond apprécient souverainement le préjudice qui résulte d'une infraction, il en va autrement lorsque cette appréciation est déduite de motifs contradictoires, erronés ou ne répondant pas aux conclusions des parties ; que, par suite, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, après avoir constaté que la partie civile n'apportait pas la preuve d'une baisse des revenus des pêcheurs concernés, lui accorder néanmoins la somme de 100 000 francs en réparation du préjudice subi>> ;

Sur le troisième moyen de cassation pris de la violation des articles 1382 du Code civil, 2, 3 et 593 du Code de procédure pénale, défaut et contradiction de motifs, manque de base légale :

<<en ce que l'arrêt attaqué a condamné le prévenu à verser à la fédération départementale des associations de pêche et pisciculture de l'Hérault la somme de 38 000 francs ;

<<aux motifs adoptés des premiers juges que le préjudice n'est pas contestable dans son principe ; que, cependant, il n'a été constaté aucune mortalité significative des espèces qui résistent au milieu particulièrement hostile de la sortie de la station d'épuration de la Cereirede, que les frais de rempoissonnement allégués et sur le fondement desquels une partie des prétentions est fondée, ne sont pas prouvés ; qu'à tout le moins, il n'est pas établi que la fédération ait procédé à un rempoissonnement (à le supposer nécessaire et opportun) ; qu'au vu des éléments produits, il y a lieu d'apprécier à 8 000 francs, le montant du préjudice subi ;

<<alors que, d'une part, seul un préjudice direct et certain peut donner lieu à réparation ; qu'en l'espèce, la cour d'appel ne pouvait, sans se contredire, après avoir nié la réalité des éléments de preuve et l'évaluation du préjudice subi par la fédération départementale des associations de pêche et de pisciculture de l'Hérault, condamner le prévenu à lui verser des dommages et intérêts>> ;

Les moyens étant réunis ;

Attendu que, pour condamner Monsieur Bernard X... à payer, à titre de dommages-intérêts, diverses sommes à l'association des marins pêcheurs de la prud'homie de Palavas-les-Flots et à la fédération départementale des associations de pêche et de pisciculture de l'Hérault, parties civiles, les juges énoncent que <<la pollution du Lez a eu un impact écologique sur la faune marine, du fait de l'échange existant entre les eaux de la rivière et les étangs riverains qui jouent un rôle de nourricerie d'alevins et, le Lez, de porte d'entrée dans le système lagunaire palavassien>> ; qu'ils ajoutent que cette pollution <<a touché principalement les alevins de daurades en période de migration de la mer vers les étangs>> ;

Attendu qu'en cet état, abstraction faite de tous motifs surabondants, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la consistance du préjudice né des infractions et n'était pas tenue de préciser les bases de ses calculs, a justifié sa décision ;

Qu'en effet, les fédérations départementales des associations agréées de pêche et de pisciculture, qui ont légalement pour mission, conformément aux dispositions de l'article L 234-4 du Code rural, de contribuer à l'organisation de la surveillance de la pêche et de participer à la protection du patrimoine piscicole et des milieux aquatiques, et les prud'hommes pêcheurs tiennent - les premiers de l'article L 238-9 du même Code, les seconds de l'article 21 bis du décret-loi modifié du 9 janvier 1852 sur l'exercice de la pêche maritime - le pouvoir d'exercer les droits de la partie civile en ce qui concerne les faits constituant une infraction aux dispositions, soit du titre III du livre II du Code rural, soit du décret précité du 9 janvier 1852, et portant un préjudice direct ou indirect aux intérêts collectifs que ces organismes ont pour objet de défendre ; que tel est le cas en l'espèce :

D'où il suit que les moyens doivent être écartés ;

Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;

 

REJETTE les pourvois.

(...)