| CIV. 1 COUR DE CASSATION Audience publique du 10 février 1998 Monsieur LEMONTEY, président Pourvoi n° D 96-15.935 | 
 ILM 
 Rejet Arrêt n° 243 P | 
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant:
Sur le pourvoi formé par la SOCIÉTÉ D'AMÉNAGEMENT URBAIN ET RURAL (SAUR), société anonyme
 dont le siège est route de Villefranche, 46 014 Cahors ; 
en cassation d'un jugement rendu le 30 avril 1996 par le tribunal d'instance 
 de Castres, au profit de Monsieur Belabes X... ;
 défendeur à 
 la cassation ; 
La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;
LA COUR, en l'audience publique du 6 janvier 1998, où étaient présents, Monsieur Lemontey, président, Monsieur Renard-Payen, conseiller rapporteur, Messieurs Chartier, Ancel, Durieux, Madame Bénas, Messieurs Guérin, Sempère, Bargue, conseillers, Monsieur Savatier, Madame Bignon, conseillers référendaires, Monsieur Sainte-Rose, avocat général, Madame Aydalot, greffier de chambre;
Sur le rapport de Monsieur Renard-Payen, conseiller, les observations de Me Parmentier, avocat de la société Saur, les conclusions de Monsieur Sainte-Rose, avocat général, et après avoir délibéré conformément à la loi ;
Sur le moyen unique, pris en ses quatre branches :
Attendu, selon le jugement attaqué (Tribunal d'instance de Castres, 30 avril 1996), que, par délibération du Conseil municipal de Mazamet du 6 décembre 1990, le service d'assainissement de cette collectivité a été confié à la SOCIÉTÉ D'AMÉNAGEMENT URBAIN ET RURAL (SAUR) ; qu'un <<traité d'organisation du service d'assainissement>>, conclu le même jour entre la commune et la SAUR, a fixé, d'une part, les modalités de l'affermage pour l'exploitation des réseaux d'assainissement, d'autre part, celles de la concession confiée à la même société pour la construction d'une station d'épuration devant être réalisée progressivement entre les années 1991 et 1994 ; qu'aux termes d'un avenant du 22 décembre 1994, signé des deux parties, le projet de construction d'une station d'épuration a été abandonné, le montant des redevances dues par les usagers faisant, parallèlement. l'objet d'une diminution sensible ; qu'un certain nombre d'usagers, dont Monsieur Belabes X..., ayant. alors, refusé de payer les sommes non encore acquittées au titre de la période antérieure à la réduction du tarif, le Tribunal d'instance de Castres, par ordonnance du 31 octobre 1995, lui a enjoint de payer le montant réclamé ;
Attendu que la SAUR fait grief au jugement de l'avoir déboutée de ses demandes de paiement, alors, d'une part, qu'en se prononçant sur la contestation du droit, pour une entreprise privée dans le cadre d'une délégation de service public, de percevoir des redevances auprès des usagers, le tribunal d'instance a apprécié la légalité d'une clause réglementaire en violation du principe de la séparation des pouvoirs ; alors, de deuxième part, qu'en admettant qu'un usager puisse, pour refuser de s'acquitter des redevances, opposer à la SAUR l'engagement pris par elle de construire une station d'épuration, alors que cette obligation concernait les seuls rapports contractuels entre la commune délégante et l'entreprise délégataire, le tribunal d'instance a violé l'article 1165 du Code civil ; alors, de troisième part, qu'en se fondant, pour admettre le jeu de l'exception d'inexécution, sur la circonstance que la SAUR et la COMMUNE DE MAZAMET avaient décidé d'un commun accord, par l'avenant n° 1 signé le 22 décembre 1994, d'abandonner le projet de construction d'une station d'épuration, tel qu'il était défini par le traité initial, quand ledit avenant précisait au contraire que cet abandon avait été décidé unilatéralement par la COMMUNE DE MAZAMET, le tribunal d'instance a dénaturé cet écrit ; alors, enfin, qu'en tout état de cause, en reconnaissant aux usagers la possibilité de ne pas payer leurs redevances à la SAUR, qui n'aurait pas exécuté ses obligations contractuelles, sans s'expliquer sur la circonstance que cette société n'avait jamais privé lesdits usagers du bénéfice du service d'assainissement, objet du traité initial et de l'avenant n° 1, le tribunal d'instance n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1184 du Code civil ;
Mais attendu que le tribunal d'instance, en retenant, sans se livrer à aucune appréciation de légalité, que le montant des redevances dues par les usagers tenait compte des charges assurées par la SAUR pour construire la station d'épuration, a jugé, à bon droit, que les usagers étaient fondés à invoquer l'inexécution d'une partie des obligations souscrites par la SAUR, peu important l'imputabilité de l'abandon ultérieur du projet de station.
D'où il suit que le moyen, qui manque en fait dans sa première branche, est inopérant pour le surplus ;
PAR CES MOTIFS :
REJETTE le pourvoi ;
Condamne la société SAUR aux dépens ;
Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix février mil neuf cent quatre-vingt-dix-huit.
Moyen produit par Me Parmentier, avocat aux Conseils pour la SA SAUR
MOYEN ANNEXE à l'arrêt n° 243 P (CIV. 1)
MOYEN DE CASSATION
Il est fait grief au jugement attaqué d'AVOIR débouté la SA SAUR de ses demandes de paiement de redevances ;
AUX MOTIFS QU'exécutant la délibération 
  de son conseil municipal du 6 décembre 1990, la Maire de MAZAMET a signé 
  avec la SA SAUR un traité d'organisation du service d'assainissement 
  par lequel la collectivité territoriale confiait l'exploitation de ce 
  service public à la société demanderesse ; que toutefois, 
  ainsi qu'il résulte du traité, il importe de bien distinguer les 
  obligations contractuelles relevant du régime de l'affermage pour l'exploitation 
  des réseaux d'assainissement, de celles relatives au régime de 
  la concession pour la station d'épuration ; que, plus précisément, 
  les dispositions afférentes à l'exploitation par affermage des 
  réseaux d'assainissement font l'objet de la première partie du 
  traité, alors que la seconde partie de cette convention a pour objet 
  de définir les règles de la concession de la station d'épuration 
  ; que, tout comme la concession, l'affermage est le mode contractuel de gestion 
  d'un service public mais qui se distingue notamment en ce que les ouvrages nécessaires 
  à l'exploitation ne sont pas construits par l'exploitant mais par la 
  collectivité publique elle-même ou par un précédent 
  concessionnaire, si bien que le fermier se limite à gérer des 
  ouvrages déjà réalisés ; qu'au demeurant, les obligations 
  contractuelles liant la COMMUNE DE MAZAMET à la SA SAUR, qu'elles se 
  rattachent au contrat d'affermage ou au contrat de concession, sont en tout 
  état de cause génératrices d'un lien de droit avec chacun 
  des usagers du service public industriel et commercial ; que les droits que 
  les usagers de ce service tirent du contrat sont opposables non seulement au 
  concédant, la COMMUNE DE MAZAMET mais aussi à la SA SAUR ; que 
  si à l'égard du concédant l'usager dispose d'un recours 
  devant le juge de l'excès de pouvoir et d'un autre devant le juge du 
  contrat, il bénéficie à l'encontre du concessionnaire d'une 
  action qui doit être exercée devant la juridiction judiciaire civile 
  ; que cette solution est admise depuis de nombreuses années, le Conseil 
  d'État ayant jugé dès 1937 dans l'arrêt "Union Hydro-électrique 
  de l'Ouest Constantinois" (CE 5 novembre 1937) qu'un usager auquel le concessionnaire 
  refuse une prestation dont le cahier des charges lui permet de bénéficier, 
  est endroit d'assigner celui-ci aux fins d'exécution devant la juridiction 
  civile ; que, dès lors, l'usager dispose d'une véritable action 
  en exécution contre le concessionnaire, le lien de droit résultant 
  en l'espèce, d'une part, du contrat d'affermage et, d'autre part, du 
  contrat de concession conclus par la COMMUNE DE MAZAMET ; que le défendeur 
  oppose le moyen de défense tiré de l'exception d'inexécution, 
  à la demande de paiement formée par la SA SAUR, en soutenant que 
  celle-ci n'aurait point rempli à son égard les obligations contractuelles 
  auxquelles elle se trouvait engagée par la signature du traité 
  d'organisation du service d'assainissement en date des 26 novembre et 6 décembre 
  1990 ; qu'en sa double qualité de concessionnaire d'un service public 
  industriel et commercial et de fermier, la SA SAUR était tenue, d'une 
  part, d'assurer au projet des usagers du service d'assainissement la collecte 
  des eaux usées et l'entretien de tous les ouvrages et canalisations d'assainissement 
  nécessaires au service, et, d'autre part, en vertu de la deuxième 
  partie du traité, de l'exécution des travaux concernant la station 
  d'épuration ; que plus précisément, l'article 43 du traité 
  définissait les travaux devant être réalisés par 
  le concessionnaire ; que la collectivité territoriale et la SA SAUR avaient 
  expressément prévu que le concessionnaire du service public industriel 
  et commercial s'engageait à construire une station d'épuration 
  des eaux usées d'une capacité de 50 000 équivalents habitants, 
  comprenant notamment l'installation d'un réseau de contrôle des 
  rejets industriels ; que l'article 58 fixait la rémunération de 
  la SA SAUR en contrepartie de l'exécution de l'ensemble de l'opération, 
  c'est à dire notamment de la réalisation effective des constructions 
  relatives aux installations d'épuration ; qu'ainsi, une rémunération 
  de base indiquait expressément qu'en contrepartie des charges incombant 
  à la SA SAUR, les usagers seraient tenus de lui payer une facturation 
  dont le montant était variable selon les années : 
  - pour l'année 1991 : 1,90 F le mètre cube, 
  - pour l'année 1992 : 2,60 F le mètre cube, 
  - pour l'année 1993 : 3,40 F le mètre cube, 
  - pour l'année 1994 : 4,20 F le mètre cube ; 
  que par ailleurs, un abonnement annuel était également variable 
  selon les années, fixant la rémunération par usager à 
  100 francs pour les années 91, 92 et 93, et 200 francs à partir 
  de l'année 1994 ; que l'article 58 du traité prévoyait 
  en outre des redevances complémentaires facturées à la 
  collectivité et aux industriels de MAZAMET ; que la seule lecture de 
  l'article 58 du traité démontre que la perception de la rémunération 
  de base par les usagers et l'encaissement des rémunérations complémentaires 
  auprès de la collectivité territoriale et des industriels, avait 
  pour contrepartie l'exécution par le concessionnaire du service public 
  industriel et commercial des travaux prévus par l'article 43, relatifs 
  à la construction de la station d'épuration des eaux usées; 
  que telle fût d'ailleurs en 1990 l'intention commune du concédant 
  et du concessionnaire, l'article 58 étant intitulé : "rémunération 
  de la SAUR pour l'ensemble de l'opération" ; que dès lors, ainsi 
  que le soutient parfaitement dans ses conclusions le défendeur, le paiement 
  de la redevance par l'usager fixée par l'article 58, trouvait sa cause 
  dans l'exécution effective par le concessionnaire du service public industriel 
  et commercial des travaux auxquels il s'était clairement engagés 
  ; que la SA SAUR n'ayant pas exécuté ses obligations contractuelles 
  non seulement à l'égard de la collectivité territoriale, 
  mais aussi à l'égard de chacun des usagers pris individuellement, 
  ne pouvait légitimement prétendre au paiement des factures établies 
  sur le fondement de l'article 58 du traité pour les années 1991 
  à 1994 ; qu'ainsi, la SA SAUR ne saurait s'opposer au moyen de défense 
  soulevé par le défendeur, en invoquant les dispositions de l'avenant 
  n°1, signé avec le Maire de MAZAMET le 22 décembre 1994 ; 
  que ce contrat, par lequel la collectivité territoriale et le concédant 
  ont décidé d'un commun accord d'abandonner le projet de construction 
  de la station d'épuration, et de prévoir en contrepartie dans 
  l'article 11 une modification des dispositions de l'article 58 du traité 
  initial fixant la rémunération du concessionnaire, ne peuvent 
  être opposables, pour les années 91 à 94, aux usagers ; 
  qu'en effet, la conclusion de cet avenant par le concessionnaire du service 
  public industriel et commercial et la collectivité publique constitue 
  la meilleure démonstration que la SA SAUR n'a pas rempli pour les années 
  91 à 94 ses engagements contractuels à l'égard des usagers, 
  tels qu'ils avaient été fixés dans le traité signé 
  en 1990 ; qu'il est significatif que l'article 11 de l'avenant, modifiant les 
  dispositions de l'article 58 fixant la rémunération de la SA SAUR, 
  ait considérablement diminué le montant des redevances dues par 
  les usagers ; qu'ainsi, alors qu'en vertu de l'article 58 du traité, 
  la SA SAUR devait percevoir auprès de chaque usager à compter 
  de 1995 une redevance de 5,10 francs par mètre cube d'eau et la somme 
  de 200 francs au titre de l'abonnement annuel, l'article 11 prévoit que 
  la redevance annuelle sera limitée à 120 francs à partir 
  du 1er janvier 1995, et énonce que la redevance par mètre cube 
  d'eau consommée s'élèvera à 1,35 francs ; que l'acceptation 
  par le concessionnaire du service public industriel et commercial de cette clause 
  de l'avenant, entraînant une très nette diminution du montant de 
  la rémunération de base due par les usagers, s'explique en raison 
  de l'inexécution de ses obligations énoncées dans le traité 
  initial, et tout particulièrement du défaut de réalisation 
  de la station d'épuration ; que les sommes perçues par le concessionnaire 
  sur les usagers du service public industriel et commercial correspondent au 
  prix d'un service rendu ; que ce prix ayant une nature contractuelle, n'est 
  justifié que dans la mesure où le concessionnaire a exécuté 
  la totalité des prestations promises tant à l'égard du 
  concédant, que de l'usager ; qu'il s'ensuit que Madame Michelle Y... 
  est fondée à opposer l'exception d'inexécution à 
  la SA SAUR ; que la SA SAUR doit être déboutée de l'intégralité 
  de ses demandes ; 
1) ALORS QUE les juges ne sauraient excéder leurs pouvoirs ; qu'en se prononçant sur la contestation du droit pour une entreprise privée, dans le cadre d'une délégation de service public, de percevoir des redevances auprès des usagers, le tribunal d'instance, qui a apprécié la légalité d'une clause réglementaire, a violé la loi des 16-24 août 1790 et le principe de la séparation des pouvoirs ;
2) ALORS QUE les conventions n'ont d'effet qu'entre les parties contractantes ; qu'en admettant qu'un usager pouvait opposer à la SA SAUR, entreprise délégataire, l'inexécution des obligations contractées par celle-ci auprès de la commune délégante, pour ne pas payer les redevances, dès lors que l'engagement pris par cette entreprise de construire une station d'épuration l'obligeait à l'égard des usagers, quand cet engagement intéressait les seuls rapports contractuels entre la SA SAUR et la COMMUNE DE MAZAMET, auxquels les usagers étaient étrangers, le tribunal d'instance a violé l'article 1165 du code civil ;
3) ALORS QUE les juges du fond ne sauraient dénaturer les écrits soumis à leur examen ; qu'en se fondant, pour admettre le jeu de l'exception d'inexécution, sur la circonstance que la SA SAUR et la COMMUNE DE MAZAMET avaient décidé d'un commun accord, par avenant n° 1 signé le 22 décembre 1944, d'abandonner le projet de construction d'une station d'épuration, tel qu'il était défini par le traité initial, quand ledit avenant précisait au contraire que cet abandon avait été décidé unilatéralement par la COMMUNE DE MAZAMET, le tribunal d'instance a dénaturé cet écrit, et a violé l'article 1134 du code civil ;
4) ALORS QUE (SUBSIDIAIREMENT) l'exception d'inexécution ne peut être admise que s'il y a inexécution, par une partie, de ses obligations ; qu'en tout état de cause, en reconnaissant aux usagers la possibilité de ne pas payer leurs redevances à la SA SAUR qui n'aurait pas exécuté ses obligations contractuelles, sans s'expliquer sur la circonstance que cette société n'avait jamais privé lesdits usagers du bénéfice du service d'assainissement, objet du traité initial et de l'avenant n° 1,le tribunal d'instance n'a pas donné de base légale à sa décision au regard des articles 1134 et 1184 du code civil.