MD 
TRIBUNAL ADMINISTRATIF DE SAINT DENIS DE LA RÉUNION 

N° 0000215 - 0000628 

Monsieur Jean-Yves X... et autres 
Monsieur Jean-Michel Y... et autres 

Audience du 11 avril 2001 
Lecture du 3 mai 2001 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE 

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS 

Le Tribunal administratif de Saint Denis de la Réunion, composé de 

Monsieur Carbonnel, président du Tribunal, 
Monsieur Vivens et Monsieur Martin, assesseurs, 
assistés de Monsieur Bourgin, greffier en chef, 

rend le jugement suivant : 

 

1) Le litige et la procédure

(pages 1 à 8 : nom et adresse des requérants) ; les requérants représentés par Me Jacques Borderie, avocat, agissant en exécution d'un jugement du Tribunal d'instance de Saint-Paul en date du 13 avril 1999, demandent au Tribunal d'apprécier la légalité des délibérations prises par le conseil municipal de Saint-Paul, fixant, à compter de 1992, le taux des surtaxes perçues par la commune sur les tarifs d'eau et de déclarer que ces décisions sont entachées d'illégalité ; ils demandent, avant dire droit qu'une expertise soit ordonnée en sorte de faire chiffrer les dépenses réellement affectées à la gestion du service public de l'eau ; ils demandent que la commune de Saint-Paul soit condamnée à leur verser la somme de 30.000 F au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, la clôture de l'instruction a été fixée au 13 octobre 2000 ;

Par trois mémoires enregistrés les 12 et 13 octobre 2000, la commune de Saint-Paul, ayant pour avocat la société d'avocats Fidal, représentée par Me Serpetnier-Linares, conclut au rejet de la requête et à la condamnation des requérants à lui payer chacun la somme de 3 500 francs au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative ;

En application de l'article R. 613-1 du code de justice administrative, l'instruction a été rouverte jusqu'au 15 décembre 2000 ;

 

Les parties ont été régulièrement averties du jour de l'audience publique qui a eu lieu le 11 avril 2001 ;

Le Tribunal a examiné la requête, la décision attaquée ainsi que les mémoires et les pièces produits par les parties ;

Il a entendu à l'audience publique :
- le rapport de Monsieur Martin, conseiller ;
- les observations de Me Rose May Fontaine, avocat de la société compagnie générale des eaux ;
- et les conclusions de Monsieur Billaud, commissaire du gouvernement ;

 

2) La décision

Vu les autres pièces du dossier, le code général des collectivités territoriales et le code de justice administrative ;

Vu le jugement du Tribunal d'instance de Saint-Paul en date du 13 avril 1999, et les délibérations du conseil municipal de Saint-Paul fixant à compter de 1992 le taux des surtaxes perçues par la commune sur les tarifs d'eau ;

Considérant que les requêtes susvisées n° 0000215 et 0000628 présentent à juger les mêmes questions et ont fait l'objet d'une instruction commune ; qu'il y a lieu de les joindre pour statuer par un seul jugement ;

Considérant que le tribunal d'instance de Saint-Paul a, dans son jugement du 13 avril 1999, déclaré préjudicielle la question de la validité des délibérations du conseil municipal de la commune de Saint-Paul ; que, toutefois, l'état du dossier permet au Tribunal de se prononcer sans qu'il soit besoin de faire droit à cette demande ;

 

Sur la demande d'expertise :

Considérant que les requérants demandent qu'une expertise soit ordonnée en sorte de faire chiffrer les dépenses réellement affectées à la gestion du service public de l'eau de la commune de Saint-Paul ; que, toutefois, l'état du dosier permet au Tribunal de se prononcer sans qu'il soit besoin de faire droit à cette demande ;

 

Sur la délibération du 12 novembre 1992 :

Considérant que la délibération susvisée ayant pour objet l'augmentation des tarifs d'eau a fait l'objet du jugement d'annulation rendu le 3 juillet 1996 par le Tribunal administratif de Saint-Denis-de-la-Réunion ; que ce jugement est définitif ;

 

Sur la délibération du 11 mars 1993 (affaire n° 4) portant approbation du budget primitif du service de l'eau :

Considérant que les requérants ne démontrent pas que la somme de 820 000 francs inscrite au budget annexe du service de l'eau pour 1993, sous le chapitre 65 "autres charges de gestion" constituerait une dépense étrangère au service, insusceptible d'être répercutée sur le prix payé par les usagers en contrepartie du service rendu de fourniture d'eau ;

 

Sur la délibération du conseil municipal de Saint-Paul en date du 31 août 1994 en tant qu'elle porte sur la situation des impayés de l'ex-régie des eaux et approuve des annulations de créance et des admissions en on valeur et sur les délibérations du 23 décembre 1995, du 26 décembre 1996 et du 30 décembre 1997 portant admission en non valeur de créance irrécouvrables de l'ex-régie des eaux :

Considérant que les tarifs des services publics à caractère industriel et commercial, qui servent de base à la détermination des redevances demandées aux usagers en vue de couvrir les charges du service, doivent trouver leur contrepartie directe dan le service rendu aux usagers ; que les dispositions de l'article L. 2224-1 du code général des collectivités territoriales, selon lesquelles les budgets des services publics à caractère industriel et commercial exploités en régi, affermés ou concédés, doivent être équilibrés en recettes et en dépenses, ne font pas obstacle à l'application de cette règle ;

Considérant que les requérants estiment que l'intervention de la délibération du 31 août 1994 a pour finalité de compenser des anomalies de gestion, en l'espèce des avantages anormaux accordés sans justification à certains débiteurs ; qu'il soutiennent que les impayés de l'ex-régie des eaux ont été fixés à concurrence de 12 057 000,87 francs sans que des poursuites aient été engagées contre les débiteurs ;

Considérant que le procès-verbal de la délibération du 31 août 1994 portant sur des annulations de créances et sur l'admission en non valeur de créances de l'ex-régie des eaux exposait que la situation des impayés de l'ex-régie s'établissait, au jour de la délibération, à la somme de 12 057 870,86 francs ; que le même procès-verbal indique que : "Le recouvrement de ces sommes semble désormais sérieusement compromis (...)" ; que sont invoquées pour expliquer cet état de fait des raisons tenant à l'établissement tardif des états de restes à recouvrer, l'inexactitude des états fournis et des situations de recouvrement définitivement compromis ; que le procès-verbal susmentionné ajoute que : "En vue d'assainir au plus vite cette situation, il convient d'admettre en non valeur ces créances irrécouvrables suivant un plan pluriannuel. Le budget du service de l'eau ne pouvant actuellement absorber cette charge qu'à hauteur d'environ 2 millions de francs par an, il sera nécessaire d'étaler la dépense sur une période de 6 ans au minimum" ; que cette même délibération a approuvé une annulation de créances pour un montant de 1 118 461,75 francs et l'admission en non valeur de créances supposées irrécouvrables or un montant de 700 620,75 francs, avec imputation budgétaire au budget annexe du service de l'eau, chapitre 65 (autres charges de gestion), article 654 ; que les délibérations prises en date les 23 décembre 1995 (affaire n° 6), 26 décembre 1996 (affaire n° 5) et 30 décembre 1997 (affaire n° 8) ont pareillement constaté l'existence d'impayés pour des montants respectifs de 10 238 788,36 francs, 8 259 991,74 francs et 6 270 616,33 francs ; que par ces délibérations, des créances supposées irrécouvrables ont été admises en non valeur pour des montants respectifs de 1 966 800,52 francs, 1 989 375,41 francs et 1 729 886,94 francs avec imputation au même article 65 du budget annexe du service de l'eau ; qu'il ressort de ces chiffres, pour les années 1994, 1995 et 1996, que sur un montant de créances admises en non valeur de 4 656 796,68 francs, seule la somme de 11 996,10 francs a été en définitive recouvrée, alors même que l'admission en non valeur ne constitue pas un constat d'extinction de la dette ; qu'il résulte du rapport en date du 29 septembre 1999, portant observations définitives de la chambre régionale des comptes sur la gestion de la commune de Saint-Paul pour les exercices 1993 à 1996 que les poursuites toujours possibles s'agissant de créances admises en non valeur n'ont pas été diligentées ;

Considérant, toutefois, que les requérants ne démontrent pas que la commune de Saint-Paul aurait fait peser sur les consommateurs une charge correspondant à ces impayés ; qu'à défaut de preuve que cette charge serait intervenue dans la détermination des redevances demandées aux usagers et qu'ainsi les dites redevances n'auraient pas entièrement trouvé leur contrepartie dans le service rendu, les délibérations susvisées doivent être tenues pour légales ;

 

Sur la délibération du conseil municipal de Saint-Paul en date du 23 décembre 1995 :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 2224-1 du code général des collectivités territoriales : "Les budgets des services publics à caractère industriel ou commercial, exploités en régie, affermés ou concédés par les communes doivent être équilibrés en recettes et en dépenses " : qu'aux termes de l'article L. 2224-2 du même code : "Il est interdit aux communes de prendre en charge dans leur budget propre des dépenses au titre de ces services publics. Toutefois, le conseil municipal peut décider une telle prise en charge lorsque celle-ci est justifiée par l'une des raisons suivantes : 1° Lorsque les exigences du service public conduisent la collectivité à imposer des contraintes particulières de fonctionnement ; 2° Lorsque le fonctionnement du service public exige la réalisation d'investissements qui, en raison de leur importance et eu égard au nombre d'usagers, ne peuvent être financés sans augmentation excessive des tarifs ; 3° Lorsque, après la période de réglementation des prix, la suppression de toute prise en charge par le budget de la commune aurait pour conséquence une hausse excessive des tarifs. La décision du conseil municipal fait l'objet, à peine de nullité, d'une délibération motivée. Cette délibération fixe les règles de calcul et les modalités de versement des dépenses du service prises en charge par la commune ainsi que le ou les exercices auxquels elles se rapportent. En aucun cas, cette prise en charge ne peut se traduire par la compensation pure et simple d'un déficit de fonctionnement" ;

Considérant qu'il résulte du procès-verbal de la délibération du 23 décembre 1995 (affaire n° 5) que le montant des travaux prévisionnels à réaliser jusqu'en 2010 pour le service de l'eau s'élevait à 260,7 millions de francs ; que ladite délibération précise que : "(...) la surtaxe générée actuellement ne permet pas de financer ces travaux et exige d'adopter de nouveaux tarifs prenant en compte l'évolution de la surtaxe (...)" ; que la même délibération décide "de procéder à la réalisation de travaux tels qu'ils sont détaillés dans l'annexe 4 "Programmation des équipements AEP 1996/1999" et "d'appliquer une surtaxe au prix de l'eau pour les années 1996 et 1999 conforme à celle figurant à l'annexe n° 1" ; que l'annexe 1 susvisée prévoit des augmentations sensibles de la surtaxe sur la période 1995-1999 pour chacune de ces catégories ; qu'ainsi la surtaxe partie fixe passe de 19,25 francs à 39,25 francs et la surtaxe pour la partie proportionnelle touchant les abonnés consommant entre 0 et 45 m3 par trimestre passe de 0,26 francs le m3 à 1,66 francs le m3 ; que sur la période, la délibération prévoit une augmentation de la surtaxe de 7 256 523 francs ; que l'annexe n° 4 prévoit un coût de 86,4 millions de francs pour la réalisation des travaux sur la période 1996-1999 ;

Considérant que la commune de Saint-Paul n'apporte aucun élément permettant de déterminer dans quelle mesure les travaux en cause relèvent de la création ou de l'extension du réseau communal d'adduction d'eau ou de simples travaux d'amélioration ; que, bien plus, la commune ne contredit pas l'assertion des requérants selon laquelle les travaux en cause ont pour objet une extension conséquente du réseau de distribution ; que la réalisation de travaux d'investissement relatifs à la création ou à l'extension de réseaux communaux d'adduction d'eau n'est pas, eu égard notamment au caractère d'équipements publics d'intérêt général de ces réseaux, une prestation pouvant légalement donner lieu à l'institution d'une redevance pour services rendus perçues sur les usagers ; qu'en ne faisant pa application des dispositions de l'article L. 2224-2 précité du code général des collectivités territoriales, alors même que le fonctionnement du service public exigeait la réalisation d'investissements dont l'importance ne pouvait qu'induire une augmentation notable des tarifs, la commune de Saint-Paul a méconnu les dispositions susvisées du code général des collectivités territoriales ; que, par voie de conséquence, il y a lieu de déclarer illégale la délibération du 23 décembre 1995 (affaire n° 5) portant sur la surtaxe de l'eau ;

 

Sur l'application de l'article L. 761-1 du code de justice administrative :

Considérant qu'aux termes de l'article L. 761-1 du code de justice administrative : "Dans toutes les instances devant les tribunaux administratifs et les cours administratives d'appel, le juge condamne la partie tenue aux dépens ou, à défaut, la partie perdante, à payer à l'autre partie la somme qu'il détermine, au titre des frais exposés et non compris dans les dépens. Le juge tient compte de l'équité ou de la situation économique de la partie condamnée. Il peut, même d'office, pour des raisons tirées des mêmes considérations, dire qu'il n'y a pas lieu à cette condamnation" ;

Considérant qu'en vertu des dispositions précitées, le Tribunal ne peut pas faire bénéficier la partie tenue aux dépens ou la partie perdante du paiement par l'autre partie des frais qu'elle a exposés à l'occasion du litige soumis au juge ; que les conclusions présentées à ce titre par la commune de Saint-Paul doivent dès lors être rejetées ;

Considérant qu'il y a lieu, dans les circonstances de l'espèce, de condamner la commune de Saint-Paul à payer aux requérant la somme globale de 6 000 F au titre des frais exposés par eux et non compris dans le dépens :

 

DÉCIDE :

Article 1er : Il est déclaré que la délibération du conseil municipal de Saint-Paul en date du 12 novembre 1992 (affaire n° 12) a été annulée par jugement du Tribunal administratif en date du 3 juillet 1996.

Article 2 : Il est déclaré que la délibération du conseil municipal de Saint-Paul en date du 23 décembre 1995 (affaire n° 5) est entachée d'illégalité.

Article 3 : Il est déclaré que les délibérations du conseil municipal de Saint-Paul prises en date des 11 mars 1993 (affaire n° 4), 31 août 1994 (affaire n° 7), 23 décembre 1995 (affaire n° 6), 26 décembre 1996 (affaire n° 5) et 30 décembre 1997 (affaire n° 8) ne sont pas entachées d'illégalité.

Article 4 : La commune de Saint-Paul versera aux requérants une somme globale de 6 000 F (Six mille francs) au titre de l'article L. 761-1 du code de justice administrative.

Article 5 : Le surplus des conclusions est rejeté.

Article 6 : Le présent jugement sera notifié à (pages 12 à 15 : nom des requérants), à la commune de Saint-Paul et à la société VIVENDI.

 

Copie du présent jugement sera, en outre, adressée au préfet de la Réunion, à la chambre régionale des comptes et au receveur municipal.

Prononcé en audience publique le 3 mai 2001.  

La République mande et ordonne au préfet de la Réunion, en ce qui le concerne et à tous huissiers à ce requis en ce qui concerne les voies de droit commun, contre les parties privées de pourvoir à l'exécution de la présente décision.