N° A 98-84.158 PF
N° 4270
MJH
23 JUIN 1999
 

Monsieur GOMEZ président,

   

 

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

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AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

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LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palis de Justice à PARIS, le vingt-trois juin mil neuf cent quatre-vingt-dix-neuf, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le rapport de Monsieur le conseiller FARGE, les observations de Me CHOUCROY et de la société civile professionnelle Pascal TIFFREAU, avocats en la Cour, et les conclusions de Monsieur l'avocat général LAUNAY ;

Statuant sur le pourvoi formé par :

contre l'arrêt de la cour d'appel de PARIS, 10ème chambre, en date du 2 juillet 1998, qui, pour association de malfaiteurs, a condamné, le premier, à trois ans d'emprisonnement dont trente-quatre mois avec sursis et 60 000 francs d'amende, le second, à trois ans d'emprisonnement dont trente-deux mois avec sursis et 30 000 francs d'amende ;

Vu les mémoires produits ;

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Monsieur Régis Z... et pris de la violation des articles 6.3a de la Convention européenne des droits de l'home, des articles 450-1 et 312-1 et suivants du Code pénal, 184, 385, 388 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que l'arrêt attaqué a déclaré Monsieur Régis Z... et Monsieur Bernard Y... coupables d'association de malfaiteurs ;

"aux motifs propres à la Cour, sur l'exception de nullité de l'ordonnance de renvoi soulevée in limine litis par Monsieur Régis Z..., que l'article 450-1 du Code pénal n'énumère pas limitativement les délits correctionnels à la préparation desquels pourrait tendre l'entente délictueuse, mais vise au contraire de façon non limitative, les délits correctionnels les plus graves punis de 10 ans ;

"que, dès lors, la prévention telle qu'elle figure dans l'ordonnance de renvoi et qui précise que cette entente est caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, est parfaitement régulière et n'encourt pas l'annulation ;

"qu'il résulte de l'ensemble des éléments recueillis au cours de l'enquête que les deux prévenus avaient bien constitué avec d'autres membres qu'ils s'étaient adjoints, une entente en vue de commettre une action violente d'intimidation à l'égard de Monsieur Jacques X... ;

"et aux motifs, adoptés des premiers juges, qu'au vu de ce qui précède, il apparaît établi qu'il ne s'agissait pas d'effectuer une enquête comme Monsieur Hervé B... devait le prétendre, mais bien d'intimider Monsieur Jacques X... qu'il savait âgé de 64 ans ;

"que de tels agissements constituent à l'évidence le délit d'extorsion défini dans l'article 312 comme étant le fait d'obtenir par violences, menaces de violences (...) une renonciation et puni de 10 ans d'emprisonnement lorsqu'il est commis au préjudice d'une personne dont la vulnérabilité en raison de son âge est connue de son auteur ;

"alors que, d'une part, l'ordonnance renvoyant Monsieur Régis Z... et Monsieur Bernard Y... devant le tribunal correctionnel, se bornant à reproduire les termes de l'article 450-1 du Code pénal pour leur reprocher d'avoir participé à une association de malfaiteurs sans préciser la nature du crime ou du délit puni de 10 ans d'emprisonnement en vue desquels l'entente aurait été établie, il en résulte que les prévenus ne pouvaient, de ce fait, être informés d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre eux, en sorte que les juges du fond ont méconnu les dispositions de l'article 6.3a de la Convention européenne des droits de l'homme ainsi que l'article 184 du Code de procédure pénale en rejetant l'exception de nullité de l'ordonnance de renvoi soulevée in limine litis ;

"alors que, d'autre part, l'acte de la poursuite ne faisant aucunement état de la particulière vulnérabilité de la victime du projet d'intimidation en vue duquel les prévenus auraient formé une entente et l'article 312-1 du Code pénal qui réprime le délit d'extorsion simple ne punissant cette infraction que d'une peine de 7 ans d'emprisonnement et d'une amende de 700 000 francs, il en résulte que les juges du fond, qui ont pour la première fois invoqué la circonstance aggravante tirée de la particulière vulnérabilité de la victime qui n'était pas visée dans le titre de la poursuite, afin de pouvoir déclarer les prévenus coupables d'association de malfaiteurs, ont ainsi statué sur un fait dont ils  n'étaient pas saisis au mépris des droits de la défense et de l'article 388 du Code de procédure pénale ;

"et qu'enfin, le fait que la personne, à l'encontre de laquelle un projet d'extorsion aurait été formé, serait âgée de 64 ans, n'impliquant nullement sa particulière vulnérabilité au sens de l'article 312-2 du Code pénal, les juges du fond ont violé ses dispositions ainsi que l'article 450-1 dudit Code qui précise que le délit d'association de malfaiteurs suppose, pour être constitué, l'existence d'une entente établie entre plusieurs personnes pour commettre plusieurs crimes ou délits punis de 10 ans d'emprisonnement, en invoquant cet âge de la victime pour admettre que ce dernier délit était constitué à l'encontre de Monsieur Régis Z... et Monsieur Bernard Y..." ;

 

Sur le premier moyen de cassation proposé pour Monsieur Bernard Y... et pris de la violation des articles 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, 312-1, 450-1 et 450-3 du Code pénal, 184, 385, 388, 485, 567, 519 et 593 du Code de procédure pénale, violation des droits de la défense, défaut de motifs, manque de base légale ;

"en ce que la cour d'appel a déclaré Monsieur Bernard Y... coupable du chef d'association de malfaiteurs et l'a condamné aux peines de 36 mois d'emprisonnement, dont 32 mois avec sursis, et 30 000 francs d'amende ;

"aux motifs "qu'il résulte de l'enquête que les conditions d'interpellation de Monsieur Hervé B... et Monsieur Stéphane C..., le billet de train pour BÉZIERS, les armes, perruques, gants, lunettes de soleil, grenades fumigène et lacrymogène découverts sur eux, leurs déclarations aux services de police réitérées devant le magistrat instructeur, permettent d'affirmer que ces deux prévenus agissaient en plein accord avec Monsieur Bernard Y... pour mener une action d'intimidation violente à l'égard de Monsieur Jacques X... ; il résulte, par ailleurs, de l'audition de Monsieur Louis A... qu'un projet de cette nature avait bien été envisagé entre Monsieur Régis Z..., Monsieur Bernard Y... et Monsieur Hervé B... qui s'était adjoint les services de Monsieur Stéphane C... ; Monsieur Louis A... devait également confirmer qu'aucun rapport émanant de Monsieur Bernard Y... ne lui était jamais parvenu ; qu'il n'en attendait d'ailleurs pas car l'opération envisagée avait été commanditée par Monsieur Régis Z... ; son action s'était bornée à proposer à ce dernier les "services" de Monsieur Bernard Y... ; Monsieur Louis A... devait également préciser que Monsieur Bernard Y..., Monsieur Régis Z... et lui-même s'étaient retrouvés pour discuter de ce projet à l'hôtel SAINT-JAMES-ALBANY courant juillet 1994 (...) ; les deux prévenus avaient bien constitué avec d'autres membres qu'ils s'étaient adjoints, une entente en vue de commettre une action violente d'intimidation à l'égard de Monsieur Jacques X... ; que cette action d'intimidation devait être d'une particulière violence compte tenu de sa préparation par diverses actions de repérage, compte tenu aussi des moyens qui devaient être employés comme la fouille des exécutants l'a démontré et compte tenu aussi du prix qui avait été arrêté (...)" ;

1) "alors que l'ordonnance renvoyant Monsieur Régis Z... devant le tribunal correctionnel se bornait à reproduire les termes de l'article 450-1 du Code pénal, pour reprocher au prévenu d'avoir participé à une association de malfaiteurs, sans cependant préciser la nature du ou des crimes ou délits punis de 10 ans d'emprisonnement au moins, en vue desquels l'entente aurait été établie ; que, par suite, en méconnaissance de ses droits de la défense, le prévenu ne pouvait être informé d'une manière détaillée de la nature et de la cause de l'accusation portée contre lui ; qu'en passant outre, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

2) "alors que, au surplus, une décision de justice doit se suffire à elle-même ; qu'en l'espèce, en déclarant la culpabilité de Monsieur Bernard Y... du chef d'association de malfaiteurs, sans préciser le ou les crimes ou délits que l'entente prétendue aurait eu pour but de préparer, ni constater les faits propres à caractériser les éléments constitutifs de cette ou ces infractions, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

3) "alors que, à supposer par hypothèse que la cour d'appel eût entendu viser le délit d'extorsion prévu et réprimé par les articles 312-1 et suivants du Code pénal, fallait-il encore, pour que l'association fût incriminable, que fussent constatés les faits propres à caractériser les éléments constitutifs de l'une des infractions prévues et réprimées par les articles 312-2 et suivants dudit Code et donc, à tout le moins, qu'il fût constaté que la victime avait subi des violences ayant entraîné une incapacité totale de travail ou qu'elle ait été d'une particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou à un état de grossesse, apparente ou connue de son auteur ; qu'en l'espèce, l'acte de poursuite ne faisait pas état de violences ni d'une particulière vulnérabilité de la victime du projet d'intimidation en vue duquel les prévenus auraient formé une association ; que, dès lors, la cour d'appel, qui, pour déclarer le prévenu coupable d'association de malfaiteurs, a retenu l'infraction visée à l'article 312-2 du Code pénal, en statuant d'office sur le fait constitutif de la circonstance aggravante tirée de la particulière vulnérabilité de la victime, qui n'était pas visée dans le titre de poursuite, a violé les textes susvisés ;

4) "alors que, enfin et au surplus, à supposer par hypothèse que la cour d'appel eût entendu viser le délit d'extorsion prévu et réprimé par les articles 312-2 du Code pénal, pour déclarer le prévenu coupable d'association de malfaiteurs, fallait-il encore qu'elle constatât les faits constitutifs de la circonstance aggravante tirée de la particulière vulnérabilité de la victime, et, en particulier, qu'elle dît en quoi le seul fait d'être âgée de 64 ans aurait constitué une vulnérabilité de la victime, dont il est établi qu'elle exerçait alors de façon indépendante des fonctions professionnelles qualifiées, en l'occurrence des audits pour des collectivités territoriales ; qu'en omettant d'y procéder, la cour d'appel a donc violé les textes susvisés" ;

 

 

Les moyens étant réunis ;

Vu l'article 593 du Code de procédure pénale, ensemble les articles 312-2, 2°, et 450-1 du Code pénal ;

Attendu que tout jugement ou arrêt doit être motivé ; que l'insuffisance des motifs équivaut à leur absence ;

Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué que Monsieur Régis Z... et Monsieur Bernard Y... ont été renvoyés devant le tribunal correctionnel pour avoir participé, de juin à septembre 1994, à une association de malfaiteurs, groupement formé ou entente établie en vue de la préparation, caractérisée par un ou plusieurs faits matériels, d'un ou plusieurs crimes ou d'un ou plusieurs délits punis de dix ans d'emprisonnement ; que, par motifs propres et adoptés, l'arrêt attaqué retient que le délit préparé par les prévenus était celui d'extorsion commise au préjudice d'une personne particulièrement vulnérable, prévu et puni par les articles 312-1, alinéa 1, et 312-2, 2°, du Code pénal ;

Attendu que, pour caractériser la circonstance aggravante, édictée par ce dernier texte, qui élève à dix ans la peine d'emprisonnement encourue, les juges énoncent que la particulière vulnérabilité de la victime est due à son âge de soixante-quatre ans qui était connu des auteurs ;

Mais attendu qu'en se déterminant ainsi, sans préciser en quoi l'âge de la victime la mettait dans une situation de particulière vulnérabilité, et alors que l'article 450-1 du Code pénal, qui définit l'association de malfaiteurs, vise les seuls délits punis de dix ans d'emprisonnement, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision ;

D'où il suit que la cassation est encourue ;

Par ces motifs, et sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres moyens proposés,

 

CASSE et ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt susvisé de la cour d'appel de Paris, en date du 2 juillet 1998 et pour qu'il soit à nouveau jugé, conformément à la loi,

RENVOIE la cause et les parties devant la cour d'appel de Versailles, à ce désignée par délibération spéciale prise en chambre du conseil ;

ORDONNE l'impression du présent arrêt, sa transcription sur les registres du greffe de la cour d'appel de Paris, sa mention en marge où à la suite de l'arrêt annulé ;

Ainsi jugé et prononcé par la Cour de Cassation, chambre criminelle, en son audience publique, les jour, mois et an que dessus ;

Étaient présents aux débats et au délibéré : Monsieur Gomez président, Monsieur Farge conseiller rapporteur, Messieurs Guilloux, le Gall, Pelletier, Palisse, Madame Ponroy conseillers de la chambre, Monsieur Sassoust, Madame Caron conseillers référendaires ;

Avocat général : Monsieur Launay ;

Greffier de chambre : Madame Lambert ;

En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre