Jugement du : jeudi 13 juin 1996
R.G. : 11.95.00111
 

AUDIENCE PUBLIQUE DU TRIBUNAL D'INSTANCE DE TROYES, tenue le jeudi treize juin mil neuf cent quatre vingt seize, au Palais de Justice de TROYES, par MR LACOUR, Juge au Tribunal d'Instance , assisté de Madame VIET, faisant fonction de greffier.

ENTRE :
Usagers, représentés par Maître BORDERIE
PARTIE DEMANDERESSE

ET :
SYNDICAT INTERCOMMUNAL ASSAINISSEMENT DE LA HAUTE-SEINE
34 rue République
10 390 VERRIÈRES
Représenté par Maître BABEAU
PARTIE DÉFENDERESSE

 

 

FAITS - PROCÉDURE - PRÉTENTIONS DES PARTIES

Par actes d'huissiers de justice datés respectivement des 13 janvier, 1er février et 16 mai 1995 (pages 70 à 73 : noms des usagers) ont fait assigner le Syndicat Intercommunal d'Assainissement de la Haute Seine devant le Tribunal d'Instance de TROYES aux fins de voir déclarer non fondée pour cause illicite la redevance "abonnement" qu'il leur réclame et d'obtenir sa condamnation, sous le bénéfice de l'exécution provisoire, et à leur payer les sommes respectives de (pages 73 à 75 : sommes) ainsi que, pour chacun des requérants, 5 000 francs à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et 1 500 francs pour les frais irrépétibles

Ils sollicitent de plus la condamnation du défendeur aux entiers dépens.

Les assignations et déclarations enregistrées au Greffe ayant donné lieu à plusieurs placets, la jonction des différents instances  a été ordonnée par mentions aux dossiers et la cause évoquée à l'audience tenue le 4 avril 1996.

Les requérants exposent qu'en vertu de délibérations prises en 1987 et 1993, le Syndicat leur a facturé, en sus de la redevance assise sur le volume d'eau consommée, d'autres sommes qualifiées d'abonnement.

Ils prétendent que ces sommes n'ont en réalité été appelées que pour compenser le déficit de fonctionnement consécutif aux erreurs de gestion commises par le défendeur et qu'elles ne correspondent pas à la définition d'une redevance, laquelle doit trouver sa contrepartie dans la fourniture d'un service qui ferait défaut en l'espèce.

Ils ajoutent qu'ils on subi des pressions de la part du défendeur qui justifieraient l'octroi de dommages-intérêts.

 

Le Syndicat répond que les demandes sont irrecevables car les requérants ont, aux termes de l'assignation, agi en qualité de propriétaires, ce que certains ne sont pas.

Subsidiairement, il conclut au débouté en faisant valoir que le mode de facturation adopté, qui distingue une partie fixe et une autre proportionnelle, est conforme à l'article R 372-8 du code des communes et ne peut être remis en cause devant le juge judiciaire, incompétent pour en connaître.

Il conteste avoir commis des erreurs de gestion et ajoute que le service d'assainissement ayant un caractère industriel et commercial, il est tenu d'équilibrer son budget.

Il indique que ses ressources ayant été moins importantes que prévu du fait notamment du délai dont disposaient les usagers pour se raccorder et de la défection de projets d'implantations industrielles, il a été contraint, conformément aux recommandations de la Chambre régionale des comptes, d'augmenter la redevance appelée.

Il conteste que des pressions aient été exercées sur les usagers et se porte demandeur reconventionnel en paiement des sommes demeurées impayées, qu'il ne chiffre cependant pas, se bornant à renvoyer, pour leur fixation, aux bordereaux comptables qu'il verse aux débats.

Il demande en outre que ces sommes produisent des intérêts au taux légal à compter de la demande et que la décision à intervenir soit assortie de l'exécution provisoire.

Enfin il sollicite une indemnité de 15 000 francs pour les frais irrépétibles.

 

En réplique les demandeurs indiquent avoir agi en qualité d'usagers, ce qui rend leurs demandes recevables.

Ils ajoutent que le Tribunal d'Instance est compétent pour statuer sur le bien fondé de la redevance qui leur est réclamée et précisent qu'en toute hypothèse, le cumul d'une prime fixe et d'une partie proportionnelle contrevient aux dispositions de l'article R 372-9 du code des communes.

 

A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré, pour le jugement suivant être rendu ce jour.

 

MOTIFS DE LA DÉCISION :  

Sur la recevabilité :

Attendu que LE SYNDICAT prétend que les demandes seraient irrecevables au motif que certains requérants n'auraient pas la qualité de propriétaire ;

Mais attendu que d'une part qu'il ne fournit aucune précision quant à l'identité des demandeurs qui se trouveraient dans ce cas et d'autre part qu'il n'est pas contesté que tous les requérants sont usagers du service d'assainissement ; que cette seule qualité suffit à leur conférer le droit d'ester et rend leurs demandes recevables ;

 

Sur la compétence :

Attendu qu'aux termes de l'article L 372-6 du Code des Communes, "les services publics d'assainissement sont financièrement gérés comme des services à caractère industriel et commercial" ;

Que le présent litige est relatif au bien fondé de sommes réclamées par un service public industriel et commercial à ses usagers ; qu'il relève donc de la compétence des Tribunaux Judiciaires, (Tribunal des Conflits - 2 décembre 1991, S.A. de MOLITG LES BAINS ; Tribunal des Conflits 12 janvier 1987 - COMPAGNIE DES EAUX ET DE L'OZONE ; Conseil d'État 6 mars 1992 Commune de RABASTENS DE BIGORRE) ;

 

Sur la demande principale :

Attendu que selon les articles R 372-8, R 372-9 et R 372-17 combinés du Code des Communes, la redevance d'assainissement est assise sur le nombre de mètres cubes d'eau prélevés par l'usager sur le réseau public, ou sur toute autre source, et son produit est affecté au financement des charges du service d'assainissement ;

Que ces particularités confèrent à ladite redevance le caractère d'un prix, versé en contrepartie d'un service rendu (Conseil Constitutionnel 29 décembre 1983) ;

Attendu qu'en l'espèce il est prétendu que les sommes réclamées au titre de l'abonnement ne correspondent à aucun service rendu aux usagers par le défendeur ;

Attendu qu'il ressort du procès-verbal des délibérations du bureau syndical du SYNDICAT INTERCOMMUNAL D'ASSAINISSEMENT DE LA HAUTE SEINE daté du 31 mars 1993 que l'instauration d'un abonnement a été décidée pour remédier au déficit de fonctionnement ayant trouvé son origine, notamment, dans "l'absence du recouvrement des contributions financières auprès des usagers du prix de la boîte de raccordement lors de la construction du réseau" et "un suréquipement réalisé dans la perspective de desservir d'autres collectivités que celles adhérentes au Syndicat" ;

Que confirmation de ces motifs peut être trouvée dans un "communiqué" du SYNDICAT, daté du 28 juin 1993 et qui indique que l'abonnement "trouve sa justification dans le fait que le SYNDICAT n'a pas voulu appeler, comme la législation le lui permettait auprès de chaque abonné une contribution financière d'un montant minimal de 3000 francs", qui aurait pénalisé les premiers utilisateurs raccordés ;

Attendu qu'il échet de relever à cet égard qu'il était loisible au SYNDICAT, par application des dispositions de l'article L 34 du Code de la santé Publique, de faire supporter aux seuls usagers intéressés le coût de leur raccordement au réseau public ; qu'ainsi que le souligne la Chambre Régionale des Comptes dans ses observations du 21 septembre 1995, le choix différent fait par LE SYNDICAT a contribué aux difficultés financières qui l'assaillent ; qu'il apparaît dès lors mal fondé à en invoquer l'existence pour justifier le montant appelé au titre de l'abonnement ;

Attendu qu'en toute hypothèse il est ainsi établi que les sommes réclamées à ce titre auprès des usagers par LE SYNDICAT n'ont pas eu pour objet de rémunérer le coût de retraitement des eaux usées ;

Attendu en outre que les articles R 372-8 et 372-9 du Code des Communes fixent un principe de proportionnalité qui doit gouverner le montant des redevances pour assainissement ;

Qu'en l'espèce l'importance des sommes réclamées au titre de l'abonnement et leur caractère forfaitaire, qui fait qu'elles sont appelées auprès de chaque usager indépendamment du volume d'eau retraité et même, par hypothèse, en l'absence de tout effluent, doivent conduire à considérer qu'elles ne sont pas fixées à raison du service effectivement rendu aux requérants ;

Qu'ainsi, ces sommes ne trouvant pas leur contrepartie dans une prestation de retraitement des eaux fournies aux usagers et n'étant en outre pas fixées proportionnellement au service rendu, l'obligation au paiement dont se prévaut LE SYNDICAT apparaît comme étant dépourvue de cause ; que par application des dispositions de l'article 1131 du Code Civil, elle ne peut avoir aucun effet ; qu'il y a donc lieu d'en décharger les requérants ; que ceux-ci peuvent en outre revendiquer à bon droit la répétition des sommes perçues au titre de l'abonnement par LE SYNDICAT, sur le fondement des articles 1235 et 1376 du Code Civil ;

Attendu qu'il n'est pas contesté que les montants réclamés par les demandeurs ont bien été versés au SYNDICAT ; que celui-ci devra donc les restituer ;

 

Sur les autres demandes :

Attendu que les demandeurs prétendent avoir subi des pressions qui justifieraient l'octroi de dommages-intérêts

Attendu cependant qu'ils n'établissent pas la réalité du préjudice qu'ils allèguent ; qu'ils ne peuvent en effet utilement soutenir qu'un dernier avis avant majoration constitue une pression génératrice d'un préjudice dès lors que l'article R 372-15 du Code des Communes autorise la majoration des redevances non acquittées à leur terme ; qu'ils seront donc déboutés de ce chef ;

Attendu que LE SYNDICAT se porte demandeur reconventionnel pour des sommes qu'il ne liquide pas ; qu'il se borne en effet à renvoyer à des bordereaux comptables joints à sa demande ; que ces documents ne mentionnent aucunement la cause des paiements réclamés ; qu'ils n'indiquent notamment pas si ces sommes correspondent à "l'abonnement" ou à la redevance proportionnelle ;

Que LE SYNDICAT sera par suite débouté de sa demande ;

Attendu qu'aucune circonstance particulière ne justifie que le présent jugement soit assorti de l'exécution provisoire ;

Attendu que les demandeurs ont dû exposer des frais non compris dans les dépens qu'il serait inéquitable de laisser à leur charge ; qu'une somme de 10 000 francs leur sera allouée de ce chef ;

Attendu que LE SYNDICAT, qui succombe, sera condamné aux dépens ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, par jugement contradictoire et en premier ressort

DÉCLARE les demandes recevables,

SE DÉCLARE compétent,

DIT que l'obligation au paiement de la redevance abonnement dont se prévaut LE SYNDICAT est dépourvue de cause,

EN DÉCHARGE les demandeurs,

CONDAMNE LE SYNDICAT INTERCOMMUNAL D'ASSAINISSEMENT DE LA HAUTE SEINE à restituer aux demandeurs les sommes suivantes : (pages 81 à 89 : sommes)

DÉBOUTE les demandeurs de leur demande de dommages-intérêts,

DÉBOUTE le SYNDICAT de ses demandes reconventionnelles,

DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire,

CONDAMNE le SYNDICAT INTERCOMMUNAL D'ASSAINISSEMENT DE LA HAUTE SEINE  à payer aux demandeurs une somme globale de DIX MILLE FRANCS (10 000 francs) pour les frais irrépétibles d'instance,

CONDAMNE le même aux dépens.

Ainsi jugé et prononcé en audience publique les jour, mois, an et lieu sus-indiqués.