TRIBUNAL D'INSTANCE DE CARPENTRAS

DU 27 JANVIER 1998

N° 56/MI

 

 

A l'audience publique du Tribunal d'Instance de Carpentras où siégeait Monsieur ROSSELIN, juge du Tribunal d'Instance de Carpentras, assisté de Madame BELOTTE, greffier en chef

Monsieur le Juge a prononcé le jugement suivant dans l'instance pendante

ENTRE :
SDEI
988 chemin Pierre Drevet
69140 RILLIEUX LA PAPE
représentée par Me CIEVET, avocat au barreau de LYON
DEMANDEUR

ET :
Monsieur Roger X...
Monsieur Bernard Y...
Monsieur Rémy Z...
Monsieur Yves A...
Monsieur Pascal B...
Monsieur Henri C...
représentés par Me ROSELLO-MANIACI, avocat au barreau d'AVIGNON
DÉFENDEURS

INTERVENANT VOLONTAIRE :
UNION FÉDÉRALE DES CONSOMMATEURS D'AVIGNON
représentée par Me ROSELLO-MANIACI, avocat au barreau d'AVIGNON

Après que les débats eurent lieu à l'audience publique du 13 novembre 1997 devant le même magistrat qui a entendu les personnes présentes et qui a ensuite délibéré conformément à la loi ;

 

 

 

Par assignation du 30/01/97, la SDEI a fait citer Monsieur Roger X..., Monsieur Bernard Y..., Monsieur Rémy Z..., Monsieur Yves A..., Monsieur Pascal B..., Monsieur Henri C..., afin d'obtenir leur condamnation respective au paiement des sommes suivantes au titre de factures d'eau :
4101,61 F. pour Monsieur Roger X...
1343,46 F. pour Monsieur Bernard Y...
2360,84 F. pour Monsieur Rémy Z...
1916,12 F. pour Monsieur Yves A...
3714,06 F. pour Monsieur Pascal B...
2704,72 F. pour Monsieur Henri C...
Outre 800 F chacun au titre de l'article 700 du NCPC.

Par conclusions prises pour l'audience de renvoi du 03/04/97, Monsieur Bernard Y..., Monsieur Rémy Z..., Monsieur Yves A..., Monsieur Pascal B..., Monsieur Henri C..., s'appuyant essentiellement sur les observations de la Chambre régionale des comptes du 19/04/95, ont développé les moyens suivants :
1- une question préjudicielle au jugement à examiner par le Tribunal Administratif de Marseille sur la légalité de la délibération en vertu de laquelle le représentant du Syndicat Communal Rhône Ventoux a été autorisé à signer les traités d'affermage relatifs aux services de la distribution d'eau potable et d'assainissement sans l'avoir préalablement déféré au représentant de l'État.

2- la nullité des facturations litigieuses sur le fondement des articles 1129 et 1131 du code civil pour prix injustifié ne correspondant pas au coût réel de fourniture de l'eau et ce au regard :
- des dispositions de l'article 13 de la loi du 03/01/92 qui prévoit notamment une facturation au volume réel et non pas estimé ;
- de charges d'exploitation et d'investissement injustifiées par la SDEI en l'état des observations de la chambre régionale des comptes
- d'une dissimulation à l'usager de la redevance réelle payée aux collectivités
- de l'existence d'intervention hors compétence du syndicat financée par la surtaxe sur l'eau
- d'une facturation établie à partir de bases déterminées unilatéralement par la SDEI
- de l'existence d'une prime inclue au tarif dont le montant ne trouve aucune contrepartie

3- la désignation aux frais de la SDEI d'un expert afin de déterminer :
- d'une part le coût des charges réelles d'exploitation du service de l'eau et de l'assainissement sur les communes adhérant au syndicat intercommunal Rhône Ventoux
- d'autre part les charges fixes du service et les caractéristiques du branchement
- enfin les redevances et taxes incombant aux usagers au titre d'un service rendu pour le fonctionnement du service public de l'eau et de l'assainissement et ce pour la période comprise entre 1991 et l'année 1997 incluse

4- l'autorisation de consigner les sommes afférentes aux facturations litigieuses et celles à venir entre la mains d'un séquestre

Ils sollicitent pour chacun des concluants 10 000 F de dommages et intérêts pour les pressions, menaces, coupures d'eau dont ils ont fait l'objet, outre 2412 F chacun en application de l'article 700 du NCPC

Par conclusions prises pour l'audience de renvoi du 03/04/97, l'UFC est intervenue volontairement en application des articles L421.6 et L421.7 du code de la consommation, et reprend intégralement les conclusions des consorts Y... à son compte

l'UFC sollicite en outre l'annulation des clauses abusives du règlement de l'eau en supprimant les dispositions de l'article 21 et 22 y afférentes :
- qui offrent la possibilité de facturer un acompte correspondant à la moitié du la consommation annuelle précédente
- qui autorisent la fermeture du branchement en cas de non paiement
L'UFC ajoute au contenu de la question préjudicielle la validité des clauses précitées.

Par conclusions datées du 23/09/97 reçues au Tribunal le 26/09/97, la SDEI a fait connaître son désistement d'instance à l'égard de Monsieur Bernard Y..., Monsieur Rémy Z..., Monsieur Yves A..., Monsieur Pascal B..., et de Monsieur Henri C...

 

A l'audience des plaidoiries :
- la SDEI a confirmé son désistement d'instance à l'égard de Monsieur Roger X..., et à l'égard des consorts Y...
- les consorts Y... et l'UFC ont déposé et soutenu des conclusions d'opposition au désistement de la SDEI en indiquant que leur refus du désistement était légitime et également soutenus leurs prétentions initiales. Pour s'opposer au désistement, les défendeurs indiquent avoir payé leur facture d'eau d'une part pour éviter la coupure de la fourniture dont ils étaient menacés par la SDEI ce qui n'implique pas acceptation de la facturation et d'autre part, précisent ne pas avoir réglé la partie intitulée prime de leur facture ; c'est ainsi qu'ils ne sont pas à l'abri d'une nouvelle demande de la SDEI concernant cette partie de la facture et contestent la facturation du prix de l'eau qui leur a été faite ;
- Monsieur Roger X... cité en mairie n'a pas comparu ;
- La SDEI a indiqué que son désistement était parfait dans la mesure où elle ne réclamait plus rien aux défendeurs ; que les sommes restant dues correspondent uniquement à la part de la facture revenant aux collectivités locales ; que s'agissant de recettes publiques, seuls les comptables publics sont habilités à les percevoir ; que si par dérogation, l'article 31 du cahier des charges de l'affermage donne mandat à la SDEI de percevoir et reverser la surtaxe à la collectivité affermante, en revanche la SDEI n'est pas caution des usagers pour le montant des créances impayées par eux ; de même, ce mandat ne concerne pas les actes de poursuites en vue du règlement des recettes publiques ;

 

 

SUR CE DISCUSSION :

Sur le désistement :

Attendu qu'en application de l'article 396 du code civil, le juge déclare le désistement parfait si la non acceptation du défendeur ne se fonde sur aucun motif légitime ;

Attendu que l'acceptation du désistement est expresse ou implicite en application de l'article 397 du code civil

Attendu que de la non comparution de Monsieur Roger X... il y a lieu d'en déduire l'acceptation du désistement qui sera déclaré parfait à son égard ;

Attendu que les autres défendeurs refusent expressément le désistement ; qu'il y a lieu d'apprécier la légitimité de ce refus ;

Attendu que les consorts Y... n'ont payé d'une part qu'une partie de la facture d'eau, que d'autre part ils l'ont fait pour éviter la résiliation de la fourniture d'eau ; qu'ils contestent toujours le montant qui leur a été facturé et sollicitent de payer le prix qu'il demande au tribunal d'établir comme juste ;

Attendu qu'ils s'appuient sur un rapport de la chambre régionale des comptes du 19/04/95 concernant les périodes 1992, 1993 et 1994 sur la gestion de l'eau par le Syndicat Intercommunal Rhône Ventoux ;

Attendu que ce rapport met en évidence parlant de la SDEI "d'une société fermière en position de monopole", de "procédures de désignation d'une régularité discutable", "des charges d'investissements pesant de plus en plus lourdement sur les usagers du service public", "de prix fermier établi à partir de bases fixées unilatéralement par la société exploitante", "de telles pratiques reviennent à dissimuler à l'usager le montant réel de la redevance qu'il paye aux collectivités" ;

Attendu que pour ces motifs, les défendeurs peuvent légitimement s'opposer au désistement afin d'obtenir la clarté sur le prix de l'eau qui leur est facturé et ne payer que ce dont ils sont tenus en vertu de la loi ;

Attendu qu'en ce qui concerne la renonciation à recouvrer judiciairement la prime au motif que la SDEI n'aurait juridiquement pas la possibilité de le faire, le Tribunal observe qu'il ne lui appartient pas d'apprécier les arguments de droits publics invoqués d'autre part que cette prime figure sur les autres factures de la SDEI ; il s'agit d'une renonciation de circonstance pour les besoins de la cause ;

 

Sur les questions préjudicielles :

Attendu que dans une société démocratique, le citoyen quelque soit le montant du litige qui est en jeu est en droit dans le cadre d'une convention légalement formée de connaître le coût réel de la prestation qui lui est fournie ;

Attendu que cette exigence est d'autant plus forte à l'égard d'une personne morale de droit privé qui agit dans le cadre d'un mandat d'une autorité publique ;

Attendu que le prix de l'eau est fixé dans le cadre de la réglementation par le syndicat intercommunal des eaux de la région Rhône Ventoux compte tenu des charges d'exploitation de la SDEI son fermier en référence notamment à l'article 32 du contrat d'affermage ; que ce prix a été fixé à l'égard des usagers d'Entraigues par les délibérations du syndicat en date des 15/03/94, 30/06/94, 19/12/95, 9/12/96 en exécution des traités d'affermage ;

Attendu que la SDEI agit par délégation du Syndicat Intercommunal des Eaux de la Région Rhône Ventoux dans le cadre du traité d'affermage pour l'exploitation du service de distribution publique de l'eau potable signé le 20/04/93 et du traité d'affermage pour l'exploitation du service de l'assainissement daté du 30/03/93 ;

Attendu que le rapport de la Chambre régionale des comptes du 19/04/95 dans ses observations définitives sur la gestion du syndicat intercommunal des eaux de la région Rhône Ventoux indique que la procédure ayant conduit à l'élaboration du traité d'affermage du 20/04/93 est irrégulière, qu'elle aurait du être déféré par le préfet de Vaucluse ; qu'il en est de même du traité d'affermage du 30/03/93 ;

Attendu encore que la Cour s'interroge sur la maîtrise qu'exerce réellement la collectivité sur un service public ressortissant de sa compétence, mais dont l'exploitation est assurée depuis plus de 45 ans par la même société ;

Attendu que la Cour conclut ainsi "le syndicat n'exerce pas de véritable contrôle sur les marges réelles pratiquées par le fermier. Ce phénomène est aggravé par le position dominante de ce dernier au sein du département du Vaucluse, qui permet de fixer lui même les normes de prix en matière de distribution d'eau potable" ;

Attendu qu'en la matière, le Conseil d'État s'est prononcé dans un avis du 10/06/96 qui précise que les contrats des collectivités locales conclues avant que les délibérations autorisant leur signature soient transmises au préfet sont entachées d'irrégularité définitive ;

Attendu que c'est le cas en l'espèce ;

Attendu que le Tribunal dont la mission est d'appliquer la loi et notamment la réglementation relative à la fixation du prix de l'eau, constate que la contestation de la validité des deux délibérations du 30/03/93 du comité syndical autorisant la signature des deux traités d'affermage est fondée sur des moyens sérieux ;

Attendu que la solution du présent litige dépend de la validité de ces deux délibérations en ce qu'elles déterminent la validité des contrats d'affermage qui concourent à la fixation du prix de l'eau sur la commune d'Entraigues pour les factures litigieuses ; qu'il y a question préjudicielle au jugement ;

Attendu qu'il n'appartient pas aux Tribunaux judiciaires de statuer sur cette question qui relève de la compétence du juge administratif et en particulier du Tribunal administratif de Marseille ;

Attendu qu'il y a lieu de faire droit à l'exception préjudicielle soulevée par les consorts Y... et l'UFC ;

Attendu que l'UFC soulève une question préjudicielle supplémentaire relativement à l'existence de clause abusive dans le règlement de l'eau ; que cependant, la solution du litige relatif à son prix, ne dépend pas de la réponse qui pourrait être donnée par la juridiction administrative ; qu'il y a lieu de rejeter ce moyen ;

Attendu qu'il y a lieu de surseoir à statuer ;

Attendu qu'il n'y a pas lieu de préjuger sur la décision de la juridiction administrative et de rejeter la demande de consignation du prix des factures d'eau présentes et à venir ;

 

 

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal, statuant par jugement public réputé contradictoire et en dernier ressort ;

Déclare le désistement de la SDEI parfait à l'égard de Monsieur Roger X... ;

Déclare légitime le refus opposé par les consorts Y... et l'UFC au désistement de la SDEI ;

Sursoit à statuer jusqu'à ce que le Tribunal Administratif de Marseille ait statué sur le présent recours en appréciation de validité concernant les deux délibérations du 30/03/93 du Syndicat Intercommunal des Eaux de la Région Rhône Ventoux autorisant la signature des traités d'affermage relatif au service de distribution de l'eau potable et de l'assainissement intervenue respectivement les 20/04/93 et 30/03/93 au profit de la SDEI ; et ce faute d'avoir été déféré au préalable au Représentant de l'État ; et par voie de conséquence, sur la validité des contrats d'affermage des 20/04/93 et 30/03/93 précités ;

Fixe un délai de trois mois, à compter de la date du présent jugement, aux consorts X... et à l'UFC pour saisir le Tribunal Administratif de Marseille ; faute de quoi, la présente procédure sera poursuivie ;

Ordonne, en tant que de besoin, la notification de la présente décision au Greffe du Tribunal Administratif de Marseille.