RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
au nom du Peuple Français
 

TRIBUNAL D'INSTANCE DE SAINT-POL-SUR-TERNOISE

JUGEMENT DU 5 DÉCEMBRE 1995
N° RG 19500269

Monsieur X...
c/
SIVOM DE LA VALLÉE DE LA CANCHE

 

 

A l'audience publique en date du cinq Décembre mil neuf cent quatre vingt quinze

Présidée par Monsieur HENON, Juge au Tribunal d'Instance de SAINT-POL-SUR-TERNOISE, assisté de Madame SOYEZ, Agent Administratif

DANS LA CAUSE ENTRE :
Monsieur X..., DEMANDEUR comparant

ET :
SIVOM DE LA VALLÉE DE LA CANCHE, Mairie de FILLIEVRES, DÉFENDEUR comparant

A été rendu le jugement suivant, après que la cause ait été débattue en audience publique le 7 Novembre 1995

 

FAITS, PROCÉDURES ET MOYENS

Par déclaration reçue au Greffe le 22 août 1995, Monsieur X... a saisi ce Tribunal d'une demande formée à l'encontre du Syndicat Intercommunal à Vocation Multiple de la Vallée de la Canche (SIVOM DE LA VALLÉE DE LA CANCHE) tenant à voir ce dernier condamner à lui rembourser la somme de 849,24 F outre intérêts de droit au titre de sommes perçues à tort pour la redevance d'assainissement du 1 juin 1984 au 10 octobre 1985.

A l'audience du 7 novembre 1995, Monsieur X... expose :
- qu'ainsi quel e démontre un article du journal "L'abeille de la Ternoise", le SIVOM DE LA VALLÉE DE LA CANCHE n'a pu desservir en assainissement la commune de WAIL qu'à compter du 11 octobre 1985
- qu'à partir du 1 janvier 1984, ce SIVOM assujetti à la redevance d'assainissement l'ensemble des habitations de la commune ;
- qu'à l'évidence, ces mêmes habitations n'étaient pas raccordables puisque le réseau était en construction ;
- qu'un recours administratif a été engagé au terme duquel le Conseil d'État par arrêt du 27 novembre 1992 a déclaré l'ordre administratif incompétent s'agissant d'une contestation relative à la rémunération des prestations d'un service public à caractère industriel et commercial ;
- que le bien fondé de la réclamation est par ailleurs confirmé par un jugement du Tribunal de Grande Instance de SAINT OMER du 20 mars 1992 ;

Le SIVOM DE LA VALLÉE DE LA CANCHE conclut au rejet de la demande et fait valoir :
- que le SIVOM DE LA VALLÉE DE LA CANCHE  a réalisé un réseau d'assainissement dans les différents communes de la Vallée et une taxe d'assainissement a été instituée en 1979 ;
- que son taux a été fixé pour tout usager raccordable à 0,40 F le m3 ;
- que compte tenu des charges et frais d'exploitation du réseau, le taux a été successivement relevé à 1,50 F le m3 à compter du 1er janvier 1981 (délibération du 21 novembre 1980) et 2 F le m3 à compter du 1er janvier 1984 (délibération du 10 octobre 1983) ;
- que toutefois, ce taux a été ramené à 1,56 F le m3 à compter de la même date par une délibération du conseil syndical du 27 janvier 1984, le Préfet ayant informé le Syndicat que l'augmentation autorisée au titre de 1984 était de 4,25 % ;
- que par une délibération du 16 novembre 1984, le conseil syndical a décidé d'appliquer une majoration pouvant atteindre 100 % de la redevance en cas de défaut de paiement ;
- que si à l'appui de sa demande, le requérant soutient que n'étant pas usager, ni raccordable au réseau, il ne serait passible de la redevance d'assainissement et il prétend que celle-ci ne deviendrait exigible que lorsque son raccordement serait possible, cette argumentation en pourra qu'être cependant rejetée ;
- qu'elle repose d'abord sur une méconnaissance des textes dont l'application en cause ;
- que la redevance d'assainissement a été créée par la loi du 29 novembre 1965 que l'article 75 a rendu obligatoire pour tous les services d'assainissement à compter du 1er janvier 1968 et a été instituée en remplacement de la taxe de déversement à l'égout que le même article 75 de la loi du 29 novembre 1965 a supprimée ;
- que pris pour l'application de la loi du 29 novembre 1965, le décret du 24 octobre 1967 relatif à l'institution, au recouvrement et à l'affectation des redevances dues par les usagers des réseaux d'assainissement et d'épuration dispose dans son article 4 que "La redevance d'assainissement est assise sur le volume d'eau prélevé par l'usager du service d'assainissement sur le réseau public de distribution ou sur toute autre source calculée dans les conditions définies aux articles suivants"
- qu'une formulation analogue a été retenue par l'article 4 du décret n° 67-1094 du 15 décembre 1967 sanctionnant les infractions à la loi n° 64-1245 du 16 décembre 1964 relative au régime et à la répartition des eaux et à la lettre contre leur pollution ;
- que le décret du 24 octobre 1967 eut plusieurs circulaires d'application ;
- que les principales furent celles du 9 novembre 1967 et 5 janvier 1970, toutes deux abrogées et remplacées par une circulaire du 12 décembre 1978, laquelle commente en ces termes les dispositions sus-énoncées de l'article 4 : "La redevance est assise sur le volume d'eau prélevé par les usagers ou assimilés (...) sont usagers toutes les personnes raccordées au réseau (...) sont assimilées aux usagers toutes les personnes raccordables au réseau d'assainissement dans les conditions fixées par les articles L 35 du Code de la Santé Publique et astreintes de ce fait au paiement des sommes prévues à l'article L 35-5 du même code" (cf. Revue des finances communales 1979, p. 164 et suivantes)
- qu'il résulte clairement de ces dispositions, d'une part, que la redevance d'assainissement doit être obligatoirement instituée dès lors qu'une collectivité publique assure en tout ou partie la collecte, le transport ou l'épuration des eaux usées, d'autre part, qu'elle est exigible de toute personne raccordable au réseau
- qu'il s'ensuit, que contrairement au moyen soulevé dans le recours, l'exigibilité de la redevance d'assainissement n'est pas liée à l'utilisation effective du service d'assainissement par les usagers ;
- que de ce chef, le recours n'est pas fondé ;
- qu'en vain tenterait-ton de soutenir que la redevance d'assainissement ne devrait être perçue qu'à l'occasion d'un service rendu, soit uniquement lorsque le raccordement au réseau est réalisé ;
- que cette hypothèse est, en effet, expressément contredite par les textes en vigueur, notamment les prescriptions du Code de la Santé Publique ;
- que certes, si l'article L 33 dudit code dispose que "Le raccordement des immeubles aux égouts disposés pour recevoir les eaux domestiques usées est obligatoire", l'article L 35-5 de ce même code dans sa rédaction issue de l'article 75-11 de la loi du 29 novembre 1965 sus-visée stipule "Tant que le propriétaire ne s'est pas conformé aux obligations prévues aux articles qui précèdent, il est astreint au paiement d'une somme au moins équivalente à la redevance qu'il aurait payée si son immeuble avait été raccordé au réseau et qui pourra être majorée dans une proportion fixée par la Conseil Municipal dans la limite de 100 %"
- que la loi sur l'eau n° 92-3 du 3 janvier 1992 vient conforter l'institution de la redevance par ses articles L 33 à 35 du Code de la Santé Publique ;
- que c'est dire qu'aucune cause d'exonération de la redevance ne saurait être admise, notamment pas celle qui découlerait d'une violation d'une prescription puisque le raccordement aux égouts a été rendu légalement obligatoire ;
- que de ce chef encore, le recours sera rejeté ;
- que c'est précisément sur le fondement des dispositions contenues dans le Code de la Santé Publique, dont certaines sont issues de la loi du 29 novembre 1965, que le Conseil d'État a été amené à considérer que la redevance d'assainissement créée en 1965 avait le caractère d'une taxe ;
- qu'or, le régime juridique propre aux taxes justifie encore selon la jurisprudence la mieux établie que "Le versement de celles-ci n'a pas à être proportionné au coût réel du service rendu aux usagers" (CE 16 novembre 1964 Syndicat Intercommunal d'Électricité de la Nièvre, Rec. p. 612 ; 17 novembre 1978 Société Établissements Geisman, Rec. p. 447), et le meilleur exemple en a été donné depuis longtemps lorsque le Conseil d'État a reconnu que la taxe d'enlèvement des ordures ménagères, souvent qualifiée de taxe destinée à rémunérer un service rendu était due même en l'absence d'utilisation effective de service (CE 4 février 1932 Monsieur Y..., Rec. p. 145) ;
- que dès lors, en raison de sa nature juridique, la redevance litigieuse doit être considérée comme exigible du seul fait qu'existe un service d'assainissement étant donné que, si le produit de la redevance d'assainissement a pour objet d'assurer les dépenses du service, il n'y a pas de relation directe ou proportionnelle entre l'assiette de la taxe et l'exécution du service d'assainissement ;
- que de ce chef, également, le recours qui s'appuie sur la stricte notion de service rendu et confond ainsi taxe et redevance ne manquera pas d'être écarté, le requérant étant incontestablement passible de la taxe d'assainissement indépendamment du fait qu'il soit ou non effectivement raccordé au réseau mis en place par le syndicat ;
- que lors du commencement des travaux d'assainissement sur le territoire de la commune de Wail en 1984, Monsieur X... était raccordable au réseau par le programme établi et confié à la DDA (maître d'oeuvre) ;
- que la canalisation dite "OTEU" desservait sa propriété (voir délibération et plan) ;
- que le SIVOM lui ayant installé une boîte de branchement à la limite de sa propriété (voir attestation du Maire), il doit être assujetti à la redevance assainissement ;
- que le requérant fait une interprétation erronée sur la position du Conseil d'État du 18 décembre 1992 qui s'est simplement déclaré incompétent pour juger ;
- que lors de deux précédents arrêts (9 mars 1992 Commune de Rasatens de Bigorre et 12 décembre 1991 SA de Molitz les Bains), le Conseil d'État s'était également déclaré incompétent concernant les litiges portant sur le bien fondé d'une redevance qui constitue la rémunération des prestations d'un service public à caractère industriel et commercial ;
- que Monsieur X... n'apporte nulle part dans le dossier fourni, la preuve qu'il n'est pas raccordable et se contente de dire qu'il n'est pas usager du service ;
- qu'en effet, il a fait couper la distribution d'eau de son immeuble et l'a vendu en 1994 ;
- que le syndicat n'avait plus la possibilité de percevoir le produit de la redevance qui est prélevée sur le volume d'eau consommé. De ce fait, le raccordement de son immeuble n'a jamais été réalisé ;
- que cependant, le délai de deux ans accordé à tous les usagers était largement dépassé, et le Syndicat dans l'impossibilité d'appliquer l'article L 34-5 du Code de la Santé Publique ;
- que le coût de la boite de branchement et la canalisation reliant le regard le plus proche de la conduite principale a été estimé à ces travaux restent à la charge du propriétaire (art L 35-4 CSP) ;
- que considérant que l'article L 35-5 du même code dispose que "Tant que le propriétaire ne s'est pas conformé aux obligations prévues aux articles précédents, il est astreint au paiement d'une somme au moins équivalente à la redevance qu'il aurait payé si son immeuble avait été raccordé au réseau et qui pourra être majoré de cent pour cent par l'assemblée délibérante" ;
 

 

SUR CE :

Attendu qu'ainsi que l'allègue justement le SIVOM de la vallée de la Canche, il résulte de l'application combinée des disposition des articles L33 à L35-5 de la loi du 29 Nombre 1965 et du décret du 15 Décembre 1967 que la redevance d'assainissement est exigible de toute personnes raccordable au réseau ;

Que si l'exigibilité de cette redevance ne saurait être subordonnée à la contrepartie d'un service rendu, il n'en demeure pas moins que l'usager à l'encontre duquel paiement de la redevance est exigé doit pouvoir être potentiellement raccordé, sauf à vider le terme raccordable et les textes précités de toute signification ;

Attendu que dans ces conditions, et sans qu'il soit besoin de statuer sur les autres moyens de droit présentés par le SIVOM de la vallée de la Canche, lesquels n'apportant pas d'intérêt quant à l'application du principe rappelé par ce même SIVOM, il convient d'en déduire que le litige se résume au point de savoir si Monsieur X... était ou non raccordable au réseau ;

Qu'il convient juste de préciser que si l'article L33 du Code de la Santé Publique vient de par l'effet de la loi sur l'eau du 3 Janvier 1992 modifier le droit existant, ce même article ne saurait pour autant s'appliquer à l'espèce, en tant que postérieur à la période litigieuse ;

Attendu qu'en l'espèce, si la seule production par Monsieur X... d'un article de journal concernant l'inauguration d'une station d'épuration ne saurait démontrer l'absence de possibilité de raccordement de ce dernier au réseau, force est cependant de constater que les éléments produits aux débats par le SIVOM de la vallée de la Canche sont loin d'emporter démonstration du contraire ;

Qu'en effet, aux termes mêmes des allégations de ce syndicat, Monsieur X... dés 1984, était desservi par une canalisation de type "OTEU" ;

Que pour autant, le plan produit par le SIVOM faisant mention du programme OTEU 1983 ne démontre pas avec certitude qu'en 1984 une telle canalisation desservait la propriété de Monsieur X... alors qu'au contraire, la brochure de présentation du SIVOM précise au titre des investissements prévus l'année 1987 pour l'opération OTEU WAIL, commune de Monsieur X... ;

Que dans ces conditions, il convient de considérer comme non établie le caractère raccordable de la propriété de Monsieur X... au réseau ;

Attendu enfin que si le SIVOM fait mention à l'encontre de Monsieur X... d'un défaut de ce dernier quant à la mise en conformité de son installation, il convient cependant de relever qu'aucune conclusion concrète n'en est tirée et il importera à ce même SIVOM d'en tirer les conséquences de droit le cas échéant ;

Qu'ainsi, il convient de faire droit à la demande de Monsieur X... en l'absence de contestation sur le montant des sommes réclamées ;

Attendu que les dépens sont à la charge du SIVOM de la vallée de la Canche, ce dernier succombant en ses prétentions ;

 

PAR CES MOTIFS :

Le Tribunal, statuant publiquement, par décision contradictoire et en dernier ressort ;

Condamne le SIVOM de la vallée de la Canche à payer à Monsieur X... la somme de 849,24 F en remboursement des sommes perçues à tort au titre de la redevance d'assainissement du 1er janvier 1984 au 10 octobre 1985 ; outre intérêts au taux légal à compter du 7 novembre 1995, date d'audience ;

Condamne le SIVOM de la vallée de la Canche aux dépens

 

En foi de quoi, le présent jugement a été signé par Nous, Président et Greffier en Chef aux jour, mois et an susdits.